Nez à nez avec le marketing sensoriel
Il est maintenant prouvé scientifiquement que les couleurs ont une influence sur notre façon de consommer. Mais qu’en est-il des odeurs? Certains parfums auraient-ils des vertus cachées nous faisant nous précipiter vers notre porte-monnaie? Comment l’industrie du voyage profite-t-elle de cette nouvelle tendance? L’Amérique du Nord va-t-elle suivre cette vague olfactive?
Faire appel aux émotions
Selon Jean-Charles Chebat, titulaire de la Chaire de commerce Omer DeSerres et professeur en marketing et comportement des consommateurs aux HEC Montréal, à chaque odeur correspond son stimulus, en fonction du moment de la journée, du type de commerce et de la personnalité du client.
Telles les «petites madeleines» de Proust (1), les odeurs déclenchent chez nous des images, réveillant des souvenirs lointains et des émotions enfouies dans la mémoire.
Alors, selon le principe qui veut que plus un client se sent bien dans un magasin, plus il y reste, et plus il y reste, plus il achète, l’Université d’Utrecht (Pays-Bas) a décidé de mener une enquête auprès de 3761 consommateurs. Celle-ci a permis de constater que les clients demeuraient significativement plus longtemps dans les magasins parfumés et, donc, y dépensaient davantage.
Sur ces grands principes, l’entreprise française Mood Media, spécialisée en marketing sensoriel, harmonise les senteurs avec l’image du client: du musc blanc pour un salon de coiffure, une odeur de fleurs de framboises pour une chaîne de vêtements pour femmes, des fragrances d’herbe coupée pour les magasins de golf, des senteurs marines chez le poissonnier, etc.
L’industrie du voyage ne manque pas de flair
Également consciente de ce pouvoir commercial considérable, l’industrie du voyage profite de cette nouvelle tendance. Sachant que les odeurs ont des pouvoirs subliminaux puissants (relaxants, stimulants…), certaines entreprises du secteur ont déjà opté pour ce type de marketing olfactif, comme:
- un casino de Las Vegas, qui, en inondant la section des machines à sous d’un parfum de fleurs tonique, a réussi à faire augmenter ses recettes de 45%;
- l’agence de voyages Havas, qui diffuse dans ses points de vente une odeur de Coca-Cola lors de ses promotions vers les États-Unis;
- Dysneyland, où de nombreuses confiseries et boutiques-cadeaux propagent des odeurs de bonbons à la menthe, de chocolat et de fruits;
- Sea World, où les boutiques diffusent des odeurs marines mélangées à celles des friandises sucrées;
- les hôtels Celebration, qui proposent une odeur de jasmin rappelant la bonne vieille atmosphère du Sud;
- en France, au retour des vacances d’hiver, une affiche publicitaire qui invitait les Parisiens à découvrir le Languedoc-Roussillon indiquait: «Ça sent bon les vacances», tandis qu’un diffuseur, savamment dissimulé, distribuait régulièrement une senteur de romarin;
- ou encore, à Dubaï, pays de l’extravagance, où est né le premier immeuble résidentiel sensoriel. Chaque appartement intègre la chromothérapie (thérapie par les couleurs) et l’aromathérapie (par les odeurs). Grâce à une technologie domotique dernier cri, les résidents peuvent y choisir leurs odeurs ambiantes selon leurs désirs les plus fous, simplement en formulant leur demande à la centrale informatique afin que celle-ci actionne des diffuseurs olfactifs dissimulés dans les murs… Au fait, à quand cette technologie dans les hôtels?
Comme une odeur de rébellion
Mais, sachant que toute médaille a deux côtés, comment vont réagir les clients, déjà sollicités de toutes parts, lorsqu’ils seront bombardés d’odeurs de toutes sortes, mélangeant, aux détours des rayons du supermarché, des effluves de pain chaud, de sous-bois sous la pluie et de crème solaire à la noix de coco?
«Trop, c’est comme pas assez», dirait l’expression populaire. Les bulles olfactives que vont nous imposer les gourous du marketing ne risquent-elles pas d’avoir un effet contraire à leurs attentes?
Jusqu’où tolérerons-nous ces nouvelles agressions sensorielles, sachant qu’en Amérique du Nord un lobby, aussi fort que celui de la ligue antitabac, tente de mettre au ban de la société les parfums et les désodorisants, coupables, disent-ils, de troubler les nez sensibles et de causer migraines, asthme et allergies?
Aujourd’hui, les établissements «sans odeurs» (scent-free) sont légion, allant des écoles aux édifices publics, en passant par les hôpitaux. Pire, moyennant un léger supplément, certains hôtels offrent désormais des chambres «sans odeurs» (savons sans parfum, produits de nettoyage écologiques, etc.).
Bref, les agences de marketing, confrontées au désintérêt des consommateurs (lire aussi: Les consommateurs en ont ras-le-bol de la publicité) couplé à une chute des prix de vente de l’espace publicitaire, risquent bien de tout tenter pour innover, au risque de provoquer, chez le consommateur, des réactions parfois mitigées.
(1) Proust, Marcel. «À la recherche du temps perdu, tome 1: Du côté de chez Swann», 1913.
Sources:
– Bergeron, Ulysse. «Une technologie qui a du pif», Le Devoir, 19 octobre 2005.
– Gagné, Jean-Simon. «Une odeur de croisade», Le Soleil, 21 juillet 2005.
– Lebas, Maya. «Dubaï invente les appartements sensoriels», Le Figaro, 12 décembre 2005.
– Métro (Montréal). «Mener par le bout du nez ou comment augmenter ses ventes à coups de « poush-poush »», 13 janvier 2006.
– P.D.V. «Du pain d’épices au rayon lingerie!», Le Soir, 14 décembre 2005.
– Smets, Joëlle. «Le client est mené par le bout du nez», Le Soir, 14 décembre 2005.
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