Le tourisme «sombre»: visites macabres ou commémoration et conscientisation?
Le tourisme sombre correspond à toute forme de tourisme qui implique la visite de sites associés à la mort ou à la destruction ou qui sont simplement macabres. Vous croyez que le tourisme «sombre» intéresse seulement un segment restreint de touristes? Détrompez-vous; l’intérêt pour ce type d’attraction est fortement répandu.
La dénomination de ce type de tourisme (dark tourism) et sa définition peuvent sembler loin de la réalité de voyage de la majorité, mais, dans les faits, beaucoup de touristes visitent de tels sites touristiques au cours d’un voyage. Voici quelques exemples permettant d’illustrer l’offre:
- Les sites tels que la prison d’Alcatraz, le cimetière du Père-Lachaise à Paris, Fort-Lennox ou la Maison d’Anne Frank à Amsterdam.
- Les sites sombres «éducatifs» tels que le site de la bataille de Gettysburg, le Musée international de la Croix-Rouge à Genève ou le nouveau Musée canadien de la guerre à Ottawa.
- Les sites à connotation plus sombre comme les camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale ou Ground Zero à New York.
Chemin de fer menant à Auschwitz
Sépulture de Jim Morrison au cimetière du Père-Lachaise
Tous les monuments commémoratifs de guerre, les prisons, les cimetières, les champs de batailles et les forteresses, ou encore l’héritage esclavagiste, ont un lien avec la mort. On visite aussi les sites touchés par un désastre: visite guidée des quartiers détruits par l’ouragan Katrina, par exemple. La tour de Londres, un des hauts lieux touristiques de la ville, compte une exposition d’instruments de torture. Depuis peu, la Chine invite les touristes à visiter une ancienne usine d’armes nucléaires attirant dans son sillage des hôteliers et des restaurateurs. Certains sites touristiques n’ont pas nécessairement de lien avec le lieu commémoré, comme c’est le cas du US Holocaust Memorial Museum situé à Washington (plus de 2,5 millions de visiteurs par année). Mentionnons aussi l’intérêt pour les sites rappelant la mort de personnalités célèbres comme celle de John Lennon, de la princesse Diana ou de John F. Kennedy.
Le côté sombre du Québec
Le Québec a aussi ses drames, quoique moins d’infrastructures subsistent. On compte néanmoins plusieurs lieux associés à la mort tels que les lieux historiques nationaux du Canada de la Grosse-Île-et-le-Mémorial-des-Irlandais et des Fortifications-de-Québec. Certains ne sont pas exploités de manière touristique, comme la Maison du Gouverneur où les patriotes furent pendus (actuellement une succursale de la Société des alcools du Québec), mais l’événement est commémoré par la Maison des Patriotes en Montérégie. D’autres pages sombres de notre histoire sont peu soulignées.
Cimetière irlandais à Grosse-Île
Comprendre les motivations: des questions en suspens
Il s’agit d’un domaine d’étude nouveau et encore peu documenté. Les chercheurs qui s’intéressent au sujet s’interrogent sur les motivations des voyageurs axés vers le tourisme sombre. Plusieurs raisons sont possibles et certaines peuvent être controversées; les gens cherchent peut-être des lieux qui inspirent le respect et le souvenir, certains prennent un malin plaisir à observer quelque chose de macabre alors que, pour d’autres, il peut s’agir d’un moyen de méditer sur leur propre mortalité. Selon certains Américains, visiter Ground Zero est un acte patriotique que tous devraient accomplir. Les chercheurs s’entendent néanmoins pour dire qu’un touriste sombre est celui pour qui les attraits liés à la mort et au désastre doivent être les premières motivations du voyage. Ce sont d’ailleurs ces intérêts mêmes qui distinguent le tourisme sombre du tourisme de mémoire qui fait plutôt appel à l’intérêt pour l’histoire. (Lire aussi: Je me souviens: le tourisme de mémoire.)
Enjeux éthiques et moraux relatifs à l’exploitation: l’exemple du camp de la mort d’Auschwitz
Parmi l’offre en tourisme sombre, la plupart des attraits et des lieux sont commémoratifs et ne présentent pas de grands enjeux moraux. Pour d’autres attractions, l’exploitation d’une tragédie peut susciter un débat éthique. Lors d’un séminaire regroupant des chercheurs sur le sujet et des intervenants, la question a été posée. L’exemple d’Auschwitz-Birkenau a été abordé et la dénaturation du site ainsi que l’interprétation sélective qui est présentée mènent à une expérience peu authentique. Non seulement l’apprentissage du visiteur est faussée, mais, conséquence plus importante, une perception erronée du passé change la façon dont on aborde l’avenir.
Quel est l’équilibre entre l’exploitation d’un site touristique et le respect dû à un lieu de drame ou de désastre? Telle est la question avec laquelle jonglent les exploitants de tels sites touristiques. D’ailleurs, le site d’Auschwitz annonçait en janvier un programme de modernisation qui mettra l’accent sur le destin des individus, l’héroïsme des victimes et la solidarité entre les prisonniers plutôt que sur l’exposition d’objets macabres. La validation du concept de modernisation par des anciens déportés, des historiens et des conservateurs est d’ailleurs un exemple à suivre. Plus de un million de personnes ont visité ce site en 2006 (dont 58% sont des étudiants) et 25 millions depuis l’ouverture.
Selon les experts qui étudient le phénomène, le tourisme sombre est non seulement très largement répandu parmi les touristes, mais il est en croissance. Il importe donc de connaître cet intérêt chez sa clientèle et surtout de veiller à une exploitation respectueuse et authentique des lieux et des attractions associés à la mort ou aux désastres.
Source:
Lennon, John et Foley, Malcolm. «Dark Tourism, The attraction of Death and Disaster», Continuum Edition, 2000.
Sur le Web :
www.dark-tourism.org.uk
www.auschwitz.org.pl
www.atlasvista.info/actualite/camp-mort-auschwitz-a66641.html
www.grief-tourism.com
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