Un ciel de plus en plus ouvert!
Le 30 avril dernier, l’Union européenne et les États-Unis ont ratifié une entente dite «ciel ouvert» qui vise à libéraliser davantage l’espace aérien entre ces deux régions du monde. Plus près de nous, le ministre canadien des Transports rencontrait le 20 juin dernier le vice-président de la Commission européenne des transports dans le but d’entamer des négociations sur un accord «ciel ouvert». Il semble y avoir beaucoup d’ouverture dans le ciel ces jours-ci. Qu’en est-il exactement, pourquoi de telles ententes et quelles en seront les conséquences? Voici quelques questions auxquelles nous tenterons de répondre sommairement et simplement dans les lignes qui suivent.
Les origines de la réglementation dans l’aviation civile internationale
Si l’on cherche à libéraliser le ciel, c’est que celui-ci a été fortement réglementé depuis le début du siècle. En effet, dès la fin de la guerre mondiale de 1914-1918, les pays signataires de la Convention de Paris de 1919 ont réaffirmé le principe voulant que l’espace aérien au-dessus d’une nation appartienne exclusivement à cette nation. On comprendra que les États veuillent protéger leur espace aérien dans un contexte où l’aviation militaire a démontré son importance stratégique durant les conflits armés. Au fil des ans, plusieurs pays ont choisi de réserver les vols intérieurs, ce qu’on appelle communément le cabotage, aux compagnies aériennes appartenant majoritairement à l’État ou à ses citoyens. La souveraineté de l’espace aérien a été à nouveau reconnue lors de la Convention de Chicago de 1944. Par conséquent, les droits d’atterrissage d’un transporteur dans un pays étranger sont régis par des accords bilatéraux entre les deux pays concernés.
Ces accords sont importants car ils déterminent notamment quels transporteurs seront désignés par chaque pays pour effectuer des liaisons aériennes, ainsi que le nombre de sièges (capacité) et la fréquence de vols qui seront autorisés et les destinations (aéroports) qui seront desservies. Par exemple, Montréal fut longtemps le seul aéroport où les transporteurs européens avaient le droit de se poser, à l’exception de BOAC, l’ancêtre de British Airways, qui avait aussi l’autorisation d’atterrir à Toronto. Ces ententes encadraient également l’établissement des tarifs pour les passagers et le fret aérien. Avec le temps, c’est à l’AITA (Association internationale du transport aérien) qu’on a confié le rôle de mettre en place des mécanismes de fixation des tarifs, mais, en fin de compte, ceux-ci doivent être approuvés par les pays.
Un des premiers accords bilatéraux a été signé en 1946 dans l’île des Bermudes entre les États-Unis et le Royaume-Uni. Cet accord, aujourd’hui connu sous le vocable de «Bermuda I», a longtemps servi de référence aux ententes conclues par la suite. Il est intéressant de noter que cet accord a été renégocié en 1977 pour donner naissance au «Bermuda II» qui prévoyait, entre autres mesures, que seulement quatre compagnies aériennes seraient autorisées à desservir l’aéroport d’Heathrow pour des vols en provenance et à destination des États-Unis, soit American Airlines, United Airlines, British Airways et Virgin Atlantic. Il a fallu attendre trente années pour que cette restriction soit levée avec la signature récente de l’entente «ciel ouvert» entre l’Union européenne et les États-Unis.
Les ententes «ciel ouvert»
Ce qui distingue les accords bilatéraux de type «ciel ouvert» de leurs prédécesseurs, c’est essentiellement la liberté accordée aux transporteurs aériens d’un pays de desservir toutes les destinations de leur choix dans le pays étranger, à partir de n’importe quel point du pays d’origine, et vice versa. Les premières ententes «ciel ouvert» remontent à 1978 avec la signature d’un accord bilatéral libéral entre les États-Unis et les Pays-Bas. Au début des années 1990, une deuxième génération d’accords bilatéraux «ciel ouvert» voit le jour, incorporant encore plus de liberté au niveau du cargo, des vols nolisés, du partage de code, etc. En 2005, les États-Unis concluent de telles ententes avec 67 pays à travers le monde, dont 15 des 25 membres de l’Union européenne[1].
En 1995, le Canada et les États-Unis signent un accord «ciel ouvert» qui s’inscrit dans un mouvement de libéralisation du transport aérien au Canada qui avait été initié avec la privatisation d’Air Canada et la cession de la gestion des aéroports canadiens à des autorités locales. Grâce à cet accord «ciel ouvert», les transporteurs canadiens, surtout Air Canada, augmentent leur offre de liaisons directes vers des destinations américaines et, de façon générale, le nombre de sièges offerts sur ce marché augmente sensiblement, comme en fait foi la figure 1.
Figure 1 : Nombre de sièges offerts sur des vols réguliers
entre le Canada et les États-Unis en 1994 et en 1999
Source: Transports Canada, Rapport annuel 1999
Même si cet accord permet aux transporteurs des deux pays de desservir toutes les destinations de leur choix dans l’autre pays, il est moins libéral que ceux que les États-Unis ont conclus avec les 67 autres nations. En effet, il existe des restrictions quant aux droits que les transporteurs pourraient vouloir exercer d’emmener des passagers du pays étranger vers d’autres destinations internationales. Ainsi, avec l’accord de 1995, Air Canada ne peut pas transporter des passagers américains de Miami vers des destinations en Amérique du Sud. Il y a également d’autres restrictions au niveau du fret aérien. Ces interdictions sont levées en mars 2007 avec la signature d’un nouvel accord «ciel ouvert» entre les deux pays. Il faut souligner néanmoins que la libéralisation accrue du transport aérien n’inclut pas la permission de transporter des passagers entre deux villes du pays étranger, soit le cabotage.
Des cieux de plus en plus ouverts à la concurrence
En mars 2007, après plusieurs années de négociation, une entente «ciel ouvert» est finalement conclue entre les États-Unis et l’Union européenne. Celle-ci prévoit que les transporteurs européens pourront effectuer des vols à partir de n’importe quelle ville européenne vers n’importe quelle ville des États-Unis et vice versa, ce qui rend caducs tous les accords bilatéraux conclus entre les États européens et les États-Unis au cours des dernières décennies. Les transporteurs pourront dorénavant effectuer des vols à partir des villes de l’autre partenaire vers d’autres destinations internationales. De plus, les transporteurs américains obtiennent le droit de transporter des passagers entre deux villes européennes, privilège qui n’est pas accordé aux transporteurs européens en sol américain. On prévoit néanmoins que des discussions se poursuivront en 2008 pour arriver à conclure la phase 2 de l’entente qui devrait permettre l’ouverture du marché américain (cabotage) aux transporteurs européens d’ici 2010. Certains intervenants émettent cependant des doutes quant à la volonté réelle des Américains d’ouvrir leur marché intérieur, le plus important au monde, à des transporteurs étrangers, d’autant plus qu’ils ont obtenu un plus grand accès à l’aéroport d’Heathrow, un enjeu de taille[2].
Les conséquences économiques de cet accord entre les États-Unis et l’Union européenne seraient très importantes. Selon Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne des transports, cette entente pourrait représenter des bénéfices de l’ordre de 12 milliards d’euros et créer quelque 80 000 emplois additionnels sur une période de cinq ans. Il prévoit même que le nombre de passagers entre les deux continents pourrait augmenter de 26 millions durant cette période par rapport aux quelque 50 millions observés aujourd’hui. Ces chiffres peuvent toutefois paraître optimistes à la lumière de la croissance plutôt modérée du marché Europe – États-Unis.
Le gouvernement canadien poursuit également une politique de libéralisation accrue de l’espace aérien intitulée «ciel bleu». Dans cette démarche, Ottawa reçoit l’appui des principaux intervenants de l’industrie (Air Canada, Conseil des aéroports du Canada, Association du transport aérien du Canada, etc.). On peut présumer que cette politique se traduira par une entente «ciel ouvert» avec l’Union européenne à l’image de celle conclue avec les États-Unis. En conséquence, on observera davantage de concurrence dans le ciel entre le Canada, les États-Unis et l’Europe, ce qui se traduira vraisemblablement par de nouveaux services et des tarifs plus compétitifs pour les consommateurs. Au cours des prochaines années, il sera intéressant de suivre les réactions de nos principaux transporteurs canadiens dans ce ciel de plus en plus ouvert.
Sources:
[1] The McGill/Concordia Report on International Aviation Policy for Canada, McGill Center for Research on Air & Space Law, Montréal, 2005.
[2] Pilling, M. et D. Filed. « Break in Open Skies », Airline Business, avril 2007, p. 9.
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