Le retour en force des agences de voyages traditionnelles
Le secteur des agences de voyages dites «traditionnelles» est probablement celui qui a fait face à la plus grande adversité au cours des dix dernières années. Pourtant, en dépit de la nouvelle ère Internet, des événements du 11 septembre 2001 et de l’imposition de la commission zéro, les agences ont su s’adapter, voire se réinventer. De nombreux consommateurs sont devenus des inconditionnels des réservations en ligne, mais un grand nombre demeurent néanmoins fidèles aux agences de voyages qui ont su continuer d’offrir une réelle valeur ajoutée. Voici quelques-unes des tendances observées.
Le chemin de croix des agences
Dans les années 1980, les agences de voyages ont fait la pluie et le beau temps dans le domaine du voyage alors qu’elles étaient responsables de la vente d’environ 80% de l’ensemble des billets d’avion. À mi-chemin des années 1990, le vent a tourné lorsque les compagnies aériennes ont commencé à réduire les commissions versées aux agences et elles ont complètement disparu dans la foulée des événements de septembre 2001. Au cours de cette même période, une nouvelle forme de concurrence s’est pointée avec les agences de voyages en ligne qui permettaient enfin aux consommateurs de réserver aisément leurs propres billets d’avion. Ce fût un point tournant pour le réseau des agences puisque, à partir de ce moment, les ventes se sont véritablement effondrées. Un contexte d’affaires aussi difficile a entraîné une importante restructuration de ce secteur d’activité. De 1996 à 2006, le nombre de points de service a diminué de moitié. Après plus d’une décennie de déclin, le métier d’agent de voyages retrouve ses lettres de noblesse.
Une question revient sans cesse, tant auprès des consommateurs que des gens de l’industrie touristique: qui des agents de voyages ou d’Internet offre les meilleurs prix? Malheureusement, il n’existe aucune réponse claire à cette interrogation et plusieurs se sont contredits sur ce sujet au cours des dernières années. Il semble néanmoins que les agents de voyages soient généralement en mesure d’accéder assez facilement aux meilleurs tarifs que l’on puisse trouver sur le Web, sinon d’offrir mieux. Ce n’est toutefois pas sur cet aspect que l’agent est appelé à se démarquer.
Face à Internet, il doit apporter une valeur ajoutée aux clients qui font l’effort de se déplacer. Les gens désirent notamment compter sur quelqu’un qui sera imputable d’éventuels problèmes. Même si les agences en ligne ont fait certains progrès à ce chapitre, le contact reste plus distant et moins sécurisant. L’aide d’un expert est fort appréciée pour les produits complexes ou les voyages dispendieux, particulièrement lorsqu’il s’agit de déplacements à l’étranger.
Le service à la clientèle est la clé du succès
La transition à la commission zéro semble maintenant assez bien effectuée. (Lire aussi: L’adaptation des agences à la commission zéro.) Les agences de voyages ont regagné la confiance d’une grande partie de la clientèle et elles ont amélioré leur rentabilité, même si une partie de leurs activités, les transactions simples, ont glissé vers Internet. La vente des billets d’avion, qui n’apporte souvent que très peu de valeur ajoutée sur le plan du service à la clientèle, a grandement diminué. La clientèle qui aujourd’hui fait affaire avec une agence recherche plus que ce qu’elle peut facilement trouver sur Internet. Les gens reconnaissent de plus en plus la valeur du travail des agents et acceptent d’obtenir ce service en échange d’une rémunération. Au-delà du prix, les clients apprécieront par exemple des conseils sur le choix de la meilleure chambre, les suggestions de restaurants, les bons endroits à visiter, voire obtenir un possible surclassement.
La qualité du service à la clientèle incite cette dernière à demeurer fidèle aux agences. C’est sur cet aspect que les meilleures agences se distinguent des autres. L’ajout de nouveaux services a aussi fait la différence pour assurer la rétention de la clientèle. De clients occasionnels, plusieurs sont devenus progressivement des clients-partenaires grâce à l’instauration d’une relation de confiance. L’utilisation judicieuse d’Internet par les agents au profit du consommateur peut s’avérer pertinente et faire la différence. Plusieurs sont devenus des véritables spécialistes qui, au lieu d’être orientés «destinations», sont de plus en plus des experts de segments de clientèles très pointus (adeptes de la plongée sous-marine, groupes religieux, anciens alcooliques, etc.).
Les habitudes des Québécois
Même si les ventes en ligne ont beaucoup progressé au cours des dernières années, le volume d’affaires des agences de voyages du Québec augmente lui aussi de façon surprenante. Selon des chiffres dévoilés par TourismExpress.com, les agences détaillantes québécoises ont réalisé un chiffre d’affaires global de 2,83 milliards $ au cours de l’exercice 2006-2007, soit une hausse de 9,4% par rapport à l’année précédente. Il est vrai qu’en raison d’une importante consolidation des activités, le nombre de points de vente au Québec est passé de 1308 en 1992 à 812 aujourd’hui, mais le chiffre d’affaires moyen par point de vente a quant à lui grimpé de 64% depuis 1999.
Pour un voyagiste comme Transat, il est clair que le réseau des agences joue encore un rôle prépondérant dans la vente des produits de voyages. Selon Linda DeCesare, cofondatrice de l’entreprise, 90% des ventes de Transat proviennent encore des forfaits achetés dans une agence. Une grand nombre de clients ont modifié leurs habitudes de magasinage en se servant d’Internet, mais concluent néanmoins leurs transactions en agence.
Si l’on regarde d’un peu plus près le comportement de réservation des Québécois, on constate qu’ils sont davantage portés à utiliser un agent de voyages lorsqu’il s’agit d’un déplacement vers l’étranger (graphique 1). Plus de 44% des Québécois ayant effectué un voyage de vacances au Canada en avion ont utilisé les services d’un agent, comparativement à 58% dans le cas d’un séjour à l’étranger. L’écart est encore plus important pour les réservations d’hôtels. Seulement 12% des Québécois ont fait appel à un agent pour réserver leur hébergement pour des vacances au pays, comparativement à 35% pour un séjour à l’international.
Les habitudes des voyageurs ontariens sont similaires à celles des Québécois au volet des voyages domestiques. En ce qui concerne les voyages à l’étranger, les Ontariens sont un peu moins enclins à retenir les services d’un agent de voyages.
Nouvelles méthodes pour faire cheminer la profession
Interpellés à agir davantage comme conseillers du voyage, les agents ont mis en application des méthodes adaptées à ces nouvelles réalités. On mise par exemple beaucoup plus sur les échanges avec le client. Certaines agences en ont profité pour réaménager leurs espaces afin d’accueillir les gens dans un environnement chaleureux. On mise sur des rendez-vous personnalisés en utilisant de plus en plus des petits salons permettant de s’isoler avec le client. On remplace l’approche «service au comptoir» par la technique de vente autour d’une table ronde.
Dans ces échanges conviviaux, de nombreux vendeurs jouent désormais la carte de la transparence. Des écrans munis d’Internet peuvent être mis à la disposition lors de la consultation, de sorte que le consommateur accède à la même information que l’agent, en direct. Cette stratégie d’ouverture a le mérite d’instaurer une relation de confiance et de montrer au client que l’on bâtit son voyage avec lui. Un sondage effectué par Home-Based Travel Agent révèle d’ailleurs qu’un grand nombre de conseillers utilisent désormais Internet pour effectuer des recherches ou des réservations pour leurs clients (graphique 2).
Les espaces physiques des agences changent aussi
Plusieurs propriétaires d’agences ont aussi donné un coup de barre à l’apparence physique des lieux. On observe une tendance à la décoration thématique qui remplace l’affichage classique basé sur une offre de produits. Certains lieux en Europe ressemblent davantage à des boutiques d’arts qu’à des agences de voyages. Cette approche vise à utiliser l’aménagement et le design pour plonger à l’avance le visiteur dans un autre monde. Certains utilisent l’importation de grands arbres exotiques. D’autres s’assurent d’éveiller les sens avec des senteurs de thé, des bougies, des parfums, etc. On peut pousser l’expérience jusqu’à importer des bouteilles d’eau des différents pays.
Une autre tendance semble aussi se dessiner, soit celle de vendre des articles utiles pour les voyages. C’est ce que proposent par exemple les agences Voyageurs du Monde en France en se présentant non pas comme des agences, mais des endroits à vivre. On y vend par exemple des cartes, des GPS, des livres et autres objets à valeur ajoutée pour le voyage. Au Québec, c’est ce que font depuis plusieurs années les agences de voyages de Tourisme Jeunesse.
Certaines agences ont quant à elles développé une facette culturelle de leur offre en proposant des expositions-ventes d’objets artisanaux provenant de partout. Ces expositions attirent de nouvelles clientèles à l’agence et enrichissent la décoration. D’autres activités comme des cocktails conférences ou des ateliers photos peuvent être des avenues à explorer pour se distinguer de la concurrence.
Après quelques années d’importants bouleversements, il semble que le réseau de distribution s’approche d’un point d’équilibre. Les agences traditionnelles qui demeurent en place sont en meilleure position, la croissance vertigineuse des ventes des agences en ligne s’essouffle rapidement et les fournisseurs comme les compagnies aériennes et les chaînes hôtelières sont parvenus à attirer la clientèle pour la réalisation des ventes simples. Le passé nous a toutefois appris que les périodes d’accalmie ne durent jamais bien longtemps.
Sources:
– Alvarez, Leticia Suarez, Ana Maria Diaz Martin et Rodolfo Vazquez Casielles. «Relationship Marketing and Information and Communication Technologies – Analysis of Retail Travel Agencies», Journal of Travel Research, vol. 45, mai 2007.
– Bellstrom, Kristen. «Travel Agents Are Staging a Comeback», SmartMoney [www.smartmoney.com], 17 mai 2007.
– Charollois, Philippe. «À nouvelles agences… nouvelles méthodes», L’Écho Touristique, 9 mars 2007.
– Charollois, Philippe. «Des agences chic et choc», L’Écho Touristique, 9 mars 2007.
– Dansereau, Suzanne. «Vents favorables pour Transat», Journal Les Affaires, 23 juin 2007.
– Désiront, André. «Le chiffre d’affaires des agences de voyages», TourismExpress.com, 10 juillet 2007.
– Ellin, Abby. «Happy Returns for Travel Agents», The New York Times [www.nytimes.com], 3 juillet 2007.
– Jaladis, Stéphane. «Les agences ont survécu à la commission zéro», L’Écho touristique, 30 mars 2007.
– Mielke, Randall G. «Customer Service Key to Small Travel Agency Survival», Beacon News, [www.suburbanchicagonews.com], 17 juillet 2007.
– Mills, Stasha. «How Plugged In Are You?», Home-Based Travel Agent, 1er mai 2007.
Sur le Web:
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