Commentaire de Bruno Sarrasin sur le texte «La planification touristique: l’exemple de l’Espagne et du Maroc»
M. Bruno Sarrasin est professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal. Voici ses commentaires sur l’analyse intitulée «La planification touristique: l’exemple de l’Espagne et du Maroc».
On ne subit pas l’avenir, on le fait.
Georges Bernanos (1888-1948), La liberté, pour quoi faire?
Les gouvernements marocain et espagnol ont lancé une vaste réflexion stratégique basée sur une démarche prospective. Nous proposons dans notre commentaire quelques précisions sur les fondements de la méthode. Toute approche méthodologique vise à construire la réalité à partir de certains postulats. La démarche prévisionnelle ne fait pas exception à la règle et elle formule que l’évolution future va reproduire, avec de faibles variantes, les phénomènes passés et actuels (que ceux-ci soient positifs ou négatifs). Dans ces conditions, si rien n’est entrepris, la tendance négative observée en Espagne risque de se maintenir et le développement de l’industrie touristique au Maroc ne pourra se distinguer de ses concurrents. Par leur volonté d’«anticiper» l’avenir, les acteurs du tourisme de ces deux pays ont déjà décidé de ne pas le «subir»… et c’est une bonne nouvelle car peu de gouvernements considèrent l’industrie touristique de manière suffisamment sérieuse pour s’engager dans une réflexion stratégique de très long terme.
La méthode prospective est donc un processus «d’appropriation de l’avenir» qui vise à tenir compte de l’ensemble des possibilités d’évolution et à évaluer la probabilité de réalisation de chacune d’entre elles. Cela est possible seulement si nous acceptons que l’avenir n’existe pas, que le futur n’est pas univoque mais plutôt modelable, donc réalisable au sens propre. La prospective, en s’intéressant aux évènements du passé qui s’articulent et se reproduisent sous la forme d’une tendance lourde, permet d’anticiper le cours des choses et donne les moyens de construire l’avenir. Cette démarche s’inscrit dans la volonté de se dégager des intuitions et de la fiction, en contribuant à mieux saisir l’environnement dans lequel nous évoluons, en explorant les futurs possibles (les futuribles), c’est-à-dire ce qui pourrait changer, comment cela pourrait changer et les stratégies à mettre de l’avant pour éviter ou réaliser ce changement. En ce sens, l’Espagne et le Maroc sont engagés sur la bonne voie…
Pour ou contre les scénarios d’avenir? Ceux-ci fournissent une image claire du futur probable et des principales étapes pour y parvenir. Dans ces conditions, la construction de scénarios répond à un objectif assez précis: établir les différentes phases pratiques de la réalisation de l’hypothèse d’évolution définie au départ. En d’autres termes, on évalue la situation, on identifie le problème et on précise les moyens pour le régler. Le tourisme étant fortement influencé par des variables macroéconomiques, la méthode des scénarios s’applique assez bien à l’étude des multiples facettes de son développement. La construction de scénarios demeure cependant une tâche assez complexe et la validité de ceux-ci laisse souvent à désirer. Malgré ses défauts, dont le plus évident est son caractère littéraire, la méthode des scénarios appliquée au tourisme permet, selon Joseph Van Doorn, de créer une vision normative du futur; de générer des politiques touristiques «alternatives»; d’avoir une large audience et de faire participer les gens; de créer des liens entre les acteurs du milieu touristique, les chercheurs et les décideurs politiques; et enfin de servir de base à une évaluation globale du tourisme. Tous ces éléments apparaissent d’une façon ou d’une autre dans la démarche engagée par les gouvernements espagnol et marocain et fait écho aux fondements de la démarche prospective que Michel Godet résume ainsi: «Ce qui se passera demain dépend moins de tendances lourdes qui s’imposeraient fatalement aux hommes que des politiques menées par les hommes face à ces tendances.»
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J’ajouterais à ce commentaire très pertinent de Monsieur Sarrasin que l’avenir change constamment, et que c’est une des rares certitudes que nous ayons. Cela dit, les exercices de planification touristique à long terme ne sont valables que s’ils sont, périodiquement, mis à jour afin de tenir compte de cette mouvance constante de l’environnement national, mais également international. Imaginez si nos actions de développement au Québec découlaient directement des orientations adoptées a la fin des années 80, alors que n’existaient pas (pour le commun des mortels) les téléphones cellulaires, l’Internet, et qu’on ne parlait pas de sécurité du tourisme ou de changements climatiques.