Quand le paysage prend une valeur économique!
Le paysage est sans conteste un argument de développement et de promotion économique et touristique. À l’heure où la question du paysage oppose développement et préservation dans les grands dossiers de l’aménagement du territoire (projets éoliens, développement durable, etc.), quelle est son importance? Quelle valeur y accorde-t-on? Une démarche s’impose afin de mieux connaître les paysages, les spécificités qui les caractérisent et les possibilités qu’ils génèrent en matière de développement local et régional durable.
Le paysage est beaucoup plus qu’une simple carte postale
Le paysage, c’est…
… un parc industriel, les maisons et les commerces qui se côtoient, l’affichage le long des routes, les terres agricoles, l’exploitation forestière, un cours d’eau, un parc, un centre historique;
… ce qui accueille le voyageur qui arrive dans une nouvelle destination;
… ce qui fait la réputation d’un lieu, qu’il soit beau ou laid;
Le paysage, c’est un lieu qui raconte son histoire.
Le paysage, un concept intégrateur
David Belgue, président du Conseil du paysage québécois, souligne que la notion de «paysage» est le résultat des interactions entre les populations, leurs activités et les éléments naturels qui les accueillent. L’homme transforme sans cesse son milieu et crée des paysages humanisés avec les paysages ruraux, villageois et urbains. Il faut donc reconnaître son caractère évolutif, car il se métamorphose selon l’évolution des valeurs et des usages résidentiel, agricole, industriel et touristique.
Générateur de retombées économiques souvent majeures, le paysage se compose d’une mosaïque d’éléments, et son analyse ne peut se limiter au seul aspect visuel mais bien à l’ensemble du territoire.
Il constitue un enjeu important de développement durable qui implique à la fois des actions de préservation, de mise en valeur, de gestion et de développement du territoire en relation avec les valeurs et les préoccupations des collectivités. N’étant la chasse gardée d’aucune profession, le paysage doit faire l’objet de concertation et se construire sur la base d’une entente collective.
Reconnaître la valeur publique des paysages
Intervenir pour améliorer la qualité des paysages requiert du temps et constitue un défi de taille dans un contexte où le rythme de la prise de conscience est plus lent que celui du développement et de l’évolution des pratiques en matière d’évaluation et de gestion des paysages.
Selon la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal, les phases de mise en œuvre sont les suivantes:
- Reconnaissance publique des enjeux du paysage – indissociable d’un travail d’éducation et de sensibilisation des populations et des acteurs locaux.
- Diagnostic des paysages – jeter un regard multiple (identitaire, historique, économique, visuel, social, politique, utilitaire, etc.) qui requiert plusieurs expertises différentes, déterminer les caractéristiques et les potentiels d’un territoire afin de dresser un bilan global des possibilités et des contraintes.
- Énoncé du projet public de paysage – déterminer de manière concertée les objectifs à atteindre en matière de préservation, de mise en valeur, d’aménagement et de développement des territoires; doit traduire une vision commune de tous les acteurs intéressés (population, autorités locales et régionales, autres acteurs concernés par les politiques du paysage).
- Cadres d’action et de mise en œuvre – outils législatifs et réglementaires, outils de valorisation (diffusion, sensibilisation, reconnaissance, etc.), projets (chartes paysagères, atelier, concours, mesure d’accompagnement d’initiative locale).
- Suivi et audit – prise en compte de l’évolution des caractéristiques physico-spatiales, évaluation de la cohérence et de la pertinence des politiques, des programmes, des outils publics et interventions, et de l’adéquation des objectifs.
Des actions concrètes, un pas dans la bonne direction
Incorporé en 1994, le Conseil du paysage québécois a pour objectif de susciter un véritable partenariat en faveur du paysage. Il regroupe associations et ordres professionnels, intervenants régionaux et nationaux. En s’inspirant de l’expérience européenne, cet organisme a élaboré la Charte du paysage québécois qui se veut un outil de sensibilisation et de consensus auprès des citoyens, des décideurs publics et privés et des professionnels de l’aménagement. La Charte vise à promouvoir la valeur des paysages, à les protéger, à les mettre en valeur et à s’assurer qu’ils fassent également partie des considérations d’ordre économique, social ou environnemental lors de l’élaboration des orientations régionales et locales.
Ayant établi un lien direct entre l’accroissement des activités touristiques et de villégiature et la qualité des paysages, la Municipalité régionale de comté (MRC) de Memphrémagog fait figure de pionnière dans la prise en compte des dimensions paysagères (milieu rural, culture, patrimoine, forêt, tourisme, villégiature) à l’intérieur de son tout premier schéma d’aménagement – catégorisation selon quatre types (paysages naturels d’intérêt supérieur, vues panoramiques, routes pittoresques et panoramiques, paysages champêtres), protection et mise en valeur, etc.
La région des Cantons-de-l’Est possède sa Charte des paysages estriens, et la Réserve internationale de ciel étoilé du mont Mégantic témoigne de l’importance d’un ciel sans pollution lumineuse.
La MRC de Lotbinière a décidé de miser sur le paysage pour relever le défi du déclin démographique et pour rehausser son offre touristique. La réalisation du diagnostic paysager a permis d’élaborer des cartes thématiques et interprétatives dans plusieurs domaines (agricole, forestier, etc.). En se fondant sur les qualités et les particularités des paysages, la MRC a conçu des circuits découvertes – itinéraires à vélo – pour les touristes désireux d’explorer la région.
Déjà au début des années 1990, l’Association touristique des Laurentides faisait partie des organismes qui déploraient la dégradation du paysage et qui soulignaient l’urgence d’agir. Le projet Opération paysages a voulu mobiliser les acteurs sur l’importance des questions paysagères, avec comme argumentaire «L’argent pousse dans les arbres». Un sondage auprès de la population a jeté un éclairage sur sa perception à l’égard de la qualité des paysages dans la région. Ces démarches ont mené à l’adoption de la Charte des paysages naturels et bâtis des Laurentides visant à favoriser l’engagement régional et à préserver l’intégrité des paysages des Laurentides.
Un projet-pilote en Gaspésie baptisé «paysage humanisé»
Voulant revitaliser et dynamiser son territoire, la municipalité de Mont-Saint-Pierre a fait appel à la Chaire multifacultaire de recherche et d’intervention sur la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine de l’Université Laval (MRIGIMUL) pour l’aider à concevoir et à mettre en place un village-parc (Agenda 21) qui prolongerait le Parc de la Gaspésie jusqu’à la mer en enclavant Mont-Saint-Pierre.
Le modèle envisagé s’apparente à celui des parcs naturels régionaux et n’exclut pas la présence humaine: le territoire à protéger s’étend sur 600 km2 et compte environ 3000 citoyens, englobant les quatre villages côtiers de l’Estran (municipalités de Rivière-Madeleine, Grande-Vallée, Petite-Vallée et Cloridorme).
La relance de l’Estran mise sur plusieurs moteurs économiques, et le tourisme y joue un rôle de premier plan. Fonds de vallée avec leurs mosaïques agricoles, contraste entre la mer et la montagne, architecture élaborée des maisons de certains rangs, l’Estran possède l’un des plus beaux paysages aménagés par l’humain. Son but: faire de ce coin de pays une destination de séjour et non pas seulement un lieu de passage pour se rendre à Forillon et à Percé.
Voici un projet-pilote inspirant pour d’autres régions du Québec.
Le constat de la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal
À l’heure actuelle, la prise en charge des préoccupations paysagères demeure davantage le fruit d’initiatives locales et ponctuelles que le résultat d’un cadre global et intégré par le gouvernement, et ce, malgré la reconnaissance explicite de l’importance du paysage dans certaines lois.
Lire aussi: Protection des paysages québécois… Urgence!
Sources:
– Andréas, Vanessa, Gérard Beaudet, Sabine Courcier et Marie-Odile Trépanier. «Prise en considération des préoccupations paysagères dans la fusion des lois sur l’affichage», études et recherches en transport, ministère des Transports du Québec, 2004.
– Belgue, David. «Les agents locaux de tourisme, des gardiens du paysage?», souper conférence de la Fédération québécoise des organisations locales de tourisme, Québec, 16 avril 2008.
– Guéricolas, Pascale. «Des professeurs de l’Université ont décidé de parier sur la Gaspésie en s’associant à des projets innovateurs, dont les Gaspésiens sont partie prenante. Espoir à l’horizon», Magazine Contact, Université Laval, printemps 2007.
– Lemieux, Denis. «Paysages, demande sociale et actions des instances publiques», Urbanité, juin 2008, p. 21-22.
– Paquette, Sylvain et Philippe Poullaouec-Gonidec, Gérald Domon. «Guide de gestion des paysages au Québec – Lire, comprendre et valoriser le paysage», Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal, 2008.
– Ruelland , Jacques, Josée Froment et Agnès Grondin. «Laurentides – Une charte comme catalyseur du projet de paysage régional», Urbanité, juin 2008, p. 26-28.
– Vaillancourt, Linda. (2007). «L’Agenda 21e siècle local de l’Estran. Un projet territorial aux couleurs du Paysage humanisé», dans GAGNON, C. (Éd) et E., ARTH (en collab. avec). Guide québécois pour des Agendas 21e siècle locaux: applications territoriales de développement durable viable, [En ligne], http://www.a21l.qc.ca/9549_fr.html (page consultée le 9 octobre 2008).
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Bonjour,
ce thème m’intéresse particulièrement dans la mesure où je suis chercheur (en sciences de gestion – management stratégique territorial), et attaché à trouver des exemples de comportement pro-actif d’acteurs du tourisme en faveur de la meilleure gestion de l’environnement et des paysages. Et ceci non seulement à leur échelle individuelle, ou « intra-muros » (comme l’adoption de normes dans la gestion de leur entreprise) mais aussi extra-muros, sur des questions collectives comme la pollution de leur territoire, ou la gestion de leur paysage.
L’hypothèse de départ est que les aménités sont des ressources pour le tourisme et qu’un tel comportement pro-actif relèverait d’une certaine rationalité (à examiner dans sa combinaison avec tous autres facteurs individuels et collectifs).
C’est l’objet de ma thèse récente (soutenue fin Juin et en cours de dépot sur le net).
En France, j’ai traité des cas autour d’organisations « mixtes » c’est à dire ayant des missions autant dans le domaine de la préservation que du développement économique et social (dont le tourisme). L’archétype en est le Parc naturel régional à la française. Un autre cas, à l’intiative d’une union de chambres de commerces montrait un certain potentiel d’intéressement des professionnels venu de leurs logiques propres (cas Porta Natura exposé en Juin aux rencontres Champlain sur le tourisme à Québec).
Tous les exemples cités m’intéressent donc.
merci pour toute information ou contact pour aller plus loin.
jean-bernard.marsat@cemagref.fr