L’ornithologie, une niche à exploiter?
L’observation des oiseaux est de plus en plus populaire. Soutenue par de nombreuses associations d’adeptes, l’ornithologie fait aussi l’objet de voyages à forfait proposés par des voyagistes qui se spécialisent dans ce créneau. Curieusement, le tourisme ornithologique est souvent sous-estimé dans les stratégies de promotion. Des destinations comme le Québec, qui misent sur leur milieu naturel pour se développer, ont avantage à considérer cette niche.
Des statistiques qui font réfléchir
Un sondage mené en 2006 aux États-Unis par l’U.S. Fish and Wildlife Service évalue à 48 millions le nombre d’observateurs d’oiseaux de 16 ans et plus, soit 21% de la population. Il s’agit d’une croissance de 4% par rapport à 2001.
La majorité des adeptes s’adonnent à leur activité dans la cour de leur résidence. Tout de même, 20 millions d’ornithologues s’éloignent à plus d’1,5 km de chez eux pour faire de l’observation, soit 8% de plus qu’en 2001. Leurs dépenses liées à ces voyages ou excursions se chiffrent à 12 milliards de dollars américains (voir le tableau 1).
Beaucoup d’adeptes de l’ornithologie sont allés en dehors de leur État de résidence. Ainsi, en 2006, selon le sondage, environ 916 000 non-résidents de l’État sont venus faire de l’observation dans le Vermont, le New Hampshire, le Maine et l’État de New York. On peut y voir un indice du potentiel touristique.
Un sondage SOM réalisé en 2011 pour le Regroupement Québec Oiseaux laisse croire que l’ornithologie est populaire au Québec. Il indique que 20 à 22% des Québécois s’y adonnent et que les retombées économiques s’élèvent à 200 millions de dollars. Selon Statistique Canada, 3 124 000 Canadiens (dont 90% de Québécois) ont participé en 2010 à des voyages au Québec qui incluaient l’observation de la faune et des oiseaux. C’est 97% de plus qu’en 2006.
Le profil des ornithologues selon l’U.S. Fish and Wildlife Service
Aux États-Unis, les ornithologues se décrivent ainsi:
- Ils ont 50 ans et plus en moyenne; le taux de participation moyen le plus fort revient aux 55 ans et plus, avec 27%.
- Leur niveau d’éducation est élevé: 28% sont diplômés de l’université.
- Leur revenu personnel est également important: 29% gagnent 75 000$ US et plus.
- La proportion de femmes est de 54%.
- Ils sont 77% à observer la sauvagine et 71% les oiseaux de proie. Cependant, toutes les espèces présentent pour eux un intérêt.
D’autres caractéristiques selon diverses sources
- Les ornithologues voyageurs dépensent peu en hébergement; ils privilégient souvent le camping et les gîtes. C’est moins vrai pour les 65 ans et plus ainsi que pour ceux qui achètent des voyages organisés.
- Ils se documentent beaucoup avant un voyage, principalement par Internet.
- Ils aiment qu’on leur fournisse les listes d’espèces observables pour les lieux ciblés.
- Ils sont généralement soucieux de la conservation des milieux naturels.
- Le stéréotype de l’ornithologue fanatique (celui qui est capable d’identifier une très grande variété d’espèces, tient un registre de ses observations ou recherche les oiseaux rares) ne représente que 5 à 10% des ornithologues. Il offre un potentiel plus élevé de voyager.
- Les haltes migratoires et une grande variété d’espèces sont recherchées.
- La photographie d’oiseaux est de plus en plus populaire, notamment en raison des possibilités de partage sur Internet.
- Ils voyagent souvent seuls ou en couple; les voyages organisés se limitent à 12 participants.
- L’intérêt pour les oiseaux se marie bien avec les voyages éducatifs ou ceux de relaxation, l’observation de la faune en général ainsi que la découverte de cultures et de paysages différents.
- Avril, mai, septembre et octobre sont les périodes privilégiées par les voyages.
L’ornithologie, un monde organisé
Une multitude d’organisations vouées à la connaissance et à la préservation des oiseaux servent les adeptes. Au Royaume-Uni, la Royal Society for the Protection of Birds regroupe un million de membres. Aux États-Unis, la National Audubon Society compte 500 chapitres. Au Québec, 32 clubs régionaux font partie du Regroupement Québec Oiseaux. Ces organismes attirent les plus motivés; ils servent de véhicules d’information et de promotion, et organisent des sorties d’observation.
De nombreux organisateurs de voyages proposent des forfaits spécialisés en ornithologie, en grande majorité pour des destinations situées à l’extérieur du Québec. Selon une étude menée aux Pays-Bas, une destination désireuse d’attirer des touristes aviaires étrangers doit approcher ces voyagistes spécialisés.
Des macareux moines, les oiseaux vedettes de l’archipel de Mingan. Source: quebecmaritime.ca
Le Québec et l’ornithologie touristique
Le Québec, par la diversité de ses habitats, offre un potentiel exceptionnel. Le Regroupement Québec Oiseaux y dénombre 444 espèces d’oiseaux sauvages, dont 281 sont nicheuses. On y compte aussi 94 lieux désignés ZICO (1). La faiblesse : aucune espèce n’est endémique.
Grande colonie de fous de Bassan au Parc national de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé.
Source: Ministère du Tourisme du Québec.
Réserve nationale de faune du cap Tourmente, foyer de 300 espèces d’oiseaux et halte migratoire des oies des neiges.
Source: Ministère du Tourisme du Québec.
L’Observatoire d’oiseaux de Tadoussac se situe à un point de convergence majeur d’oiseaux migrateurs, où 15 000 oiseaux de proies ont recensés chaque saison. Source: Site Web de l’Observatoire.
Les infrastructures et services d’observation sont de qualité. De même, les structures de gestion des meilleurs sites sont suffisantes pour préserver leur pérennité. La documentation sur les oiseaux est abondante, et on peut compter sur des guides compétents. De plus, l’activité peut facilement se marier avec l’observation des mammifères marins, la découverte d’une culture française différente en Amérique ou la contemplation des couleurs de l’automne. Le site Web Fatbirder décrit le Québec comme un lieu qu’un ornithologue doit visiter dans sa carrière.
Pourtant, le Québec ne jouit pas d’une forte notoriété à l’étranger, dans les milieux ornithologiques. La promotion sur ce marché pointu n’est guère perceptible. Or plusieurs sites exceptionnels justifieraient des démarches plus ambitieuses (voir le tableau 2).Une action concertée des organismes gestionnaires de sites ornithologiques, des associations d’ornithologues et des organismes voués à la promotion touristique pourrait donner naissance à une stratégie Web destinée à mesurer à peu de frais la réponse de cette niche commerciale.
(1) Une ZICO est une zone importante pour la conservation des oiseaux, dont la désignation est faite selon les critères et sous la coordination de Birdlife International. Nature Québec (www.naturequebec.org) est responsable du programme ZICO au Québec.
Sources:
– Caron-Malenfant, Julie, Anne-Marie Hince et Stéphane Roussin. «Étude sur le potentiel touristique de l’ornithologie au Québec», UQAM, avril 1998.
– CBI Ministry of Foreign Affairs of the Netherlands. «Bird Watching Tourism in the Nederlands», 2010.
– Green, Ronda J. et Darryl N. Jones. «Practices, Needs and Attitudes of Bird-Watching Tourists in Australia», Sustainable Tourism CRC, 2010.
– SOM. «Profil et impact économique des amateurs d’ornithologie au Québec. Rapport présenté au Regroupement QuébecOiseaux», juillet 2011.
– U.S. Fish and Wildlife Service. «Birding in the United States: A Demographic and Economic Analysis. Addendum to the 2006 National Survey of Fishing, Hunting and Wildlife-AssociatedRecreation», juin 2009.
– Statistique Canada. «Participation à une activité d’observation de la faune et des oiseaux au Canada et au Québec de 2006 à 2010».
Sites Web:
– Heritage Destination Consulting
– Observatoire d’oiseaux de Tadoussac
Henri Chapdelaine – Consultant senior Union V |
Détenteur d’une maîtrise en aménagement du territoire de l’Université d’Ottawa et d’une licence en géographie de l’Université Laval, Henri Chapdelaine a mené une carrière de 36 ans dans les domaines du développement économique et touristique au gouvernement du Québec.S’étant joint au ministère du Tourisme en 1985, il a occupé divers postes d’encadrement, notamment comme directeur général du développement, directeur général de la recherche et de la planification et directeur général des services aux clientèles touristiques. Il a été responsable du développement du système de gestion de la destination BonjourQuébec.com.Depuis sa retraite en 2007, il agit comme consultant senior. En 2011, il fait partie de l’équipe de l’entreprise Vecteur 5 et il a fondé sa propre entreprise de communications, Union V. |
Vous désirez diffuser cet article ? Voir notre politique de diffusion ›
Bonjour,
Sujet très intéressant que ce marché de niche. C’est un segment de marché que nous avons étudié en profondeur dans les dernières années, et bien qu’il semble très intéressant au départ, nous en sommes arrivés aux conclusion suivantes: la majorité des ornithologues voyagent par eux-mêmes; plusieurs n’aiment pas se retrouver en groupe de plus de 4 ou 5 individus; leurs dépenses sont surtout axées sur l’équipement, donc les dépenses de voyage sont souvent limitées; le Québec est TRÈS bien ‘vendu’ pour que les étrangers nous visitent ‘en direct’et presque gratuitement; et autres…
Bref, bien que spécialisé dans ces créneaux de l’industrie, nous en sommes venus à la conclusion que le potentiel d’affaires réel pour des circuits d’ornithologie au Québec était trop petit par rapport à l’investissement nécessaire pour développer cette niche. (À moins d’être un site d’observation, un organisme à but non-lucratif et subventionné… et même dans ces conditions, ce n’est pas toujours évident)
Je souhaite sincèrement que quelqu’un me démontre le contraire 😉
Salutations
Bonjour monsieur Anctil,
J’ai lu avec intérêt votre commentaire. Je suis conscient que la majorité des ornithologues dépensent peu. Je note aussi que des agences spécialisées visent ce créneau de marché en misant sur la passion de ses adeptes. Personnellement, je n’ai vu aucun indice que la promotion du Québec auprès de cette niche était significative. J’aimerais savoir les fondements de votre affirmation.
Cela dit, une niche de marché, c’est en général un petit marché qui n’intéresse pas la majorité des pourvoyeurs touristiques. Le Québec compte sur des sites exceptionnels, notamment dans la région de Québec qui a beaucoup plus à offrir aux gens qui s’intéressent aux oiseaux. Une stratégie de relations de presse combinée à une approche Web pourrait permettre de vérifier la réponse de cette clientèle sans beaucoup de frais.
Je suis intéressé à en savoir plus sur votre expérience qui pourrait certes enrichir la réflexion.
Henri Chapdelaine
Ma deuxième réaction au commentaire judicieux de monsieur Anctil:
Bonjour,
C’est très intéressant ce que vous me dites. Le regroupement Québec Oiseaux s’intéresse à cette promotion. De fait, avant de susciter l’intérêt d’ornithologues voyageurs, il faut absolument faire connaître nos sites les plus importants et les fenêtre de temps les plus prometteuses. La participation des gestionnaires des principaux sites d’observation m’apparaît comme à vous indispensable. Il se peut qu’à l’automne, Regroupement Québec Oiseaux provoque une réunion des principaux joueurs. Une expérience comme la vôtre mériterait d’être écoutée.
Nous verrons bien. Je relaie vos commentaires à l’organisme et j’espère bien garder le contact avec vous. Je suis bien content que mon article soulève des réactions.
Henri Chapdelaine
À Tadoussac, il y a des rapaces et beaucoup d’autres oiseaux. J’accueille beaucoup de touristes à mon gîte pour l’observation de ces oiseaux. Huguette de Maison Simard
Ce genre d’activité touristique de nature mérite plus qu’un gite. Ce n’est pas pour dépalire a Huguette si l’occasion lui était donnée de créer un parc d’attraction ornithologique durable. Au contraire, ça plairait beaucoup à dame nature aussi.
Je ne suis pas sûr d’avoir compris votre commentaire « cette activité mérite plus qu’un gite ». Je sais qu’un certain nombre de gites prennent des mesures pour attirer les oiseaux et se servent de cette initiative pour promouvoir leur établissement. C’est bien,et comme vous le dites c’est bon pour la nature. Nos oiseaux sont souvent un indice de la qualité du milieu. S’ils disparaissent, c’est un signe de changement qui doit nous éveiller. Personnellement, je vois d’un bon oeil l’idée de parc d’attraction ornythologique que vous évoquez.