Google sera-t-il le prochain géant du voyage en ligne? Partie 2
De la recherche à la réservation en passant par le partage d’information, Google Travel a le potentiel de devenir un incontournable du voyage. À quoi cela ressemblerait-il et doit-on s’en inquiéter?
Suite à l’acquisition de spécialistes du voyage et au déploiement d’outils en ligne, Google entre en concurrence directe avec de nombreux acteurs tels que TripAdvisor, Yelp, Kayak, Expedia, mais aussi avec les organisations de gestion de la destination (DMO). Voici quelques suppositions et éclaircissements dans la deuxième partie d’une analyse dédiée à la stratégie de Google dans l’industrie du voyage.
Lire aussi: Comment Google se rend indispensable pour le voyageur – Partie 1
Une concurrence à venir, mais pour qui?
Si Google décide d’augmenter la visibilité de ses sites et de ses outils dans les pages de résultats de recherche, cela aura un impact pour de nombreux sites Internet.
Les métamoteurs de recherche
Google est surtout considéré comme un danger pour les métamoteurs de recherche (lire aussi: Attention, les métamoteurs de recherche débarquent), même si pour l’instant il ne propose que des nuitées (Google Hotel Finder) et des vols (Google Flight Search). Les acteurs de la comparaison de tarifs vont être mis à rude épreuve pour rester dans la course, d’autant plus que les fournisseurs de services (hôtels et compagnies aériennes) ont un avantage financier à être plus présents sur les nouveaux comparateurs de Google plutôt que sur les sites des agences en ligne. Cependant, selon Experian Hitwise, Google Flight Search est loin d’égaler ses concurrents. En effet, en septembre 2012, il ne générait que 1,4% du nombre de visites sur les comparateurs de voyage aux États-Unis, contre 61% pour Kayak.
Si une plateforme Google Travel devait exister, elle entrerait en concurrence directe avec les moteurs de recherche qui possèdent déjà un portail touristique: YahooTravel et surtout BingTravel de Microsoft, qui agissent comme des métamoteurs de recherche.
Les agences de voyages en ligne
Selon le fondateur d’easyvoyage.com, Jean-Pierre Nadir, le comparateur de vols de Google pourrait éventuellement se convertir en plateforme de gestion des réservations (GDS) où l’internaute réserverait directement sans être redirigé vers un autre site (p. ex.: Opodo, Travelocity, Expedia).
Si la firme prenait cette direction, il est concevable qu’elle se porterait acquéreur d’une agence de voyages en ligne afin de posséder son propre site de réservation et ainsi offrirait un plus large choix de produits de voyage.
Les sites de commentaires
Zagat est déjà intégré à Google+ Local et à Google Map, ce qui laisse envisager la même stratégie pour le guide Frommer’s. Reste à voir si le site frommers.com bénéficiera d’un meilleur positionnement dans les pages de résultats de Google. Ces changements sont de mauvais augure pour les sites de commentaires tels que TripAdvisor et Yelp qui verraient leur visibilité s’amoindrir sur le moteur de recherche.
Google Travel, à quoi cela ressemblerait-il?
Une plateforme regroupant ses outils liés au voyage et permettant une recherche centralisée et améliorée; voilà ce à quoi pourrait ressembler Google Travel. Peut-être s’inspirera-t-il de My Destination, un guide de voyage en ligne et métamoteur (voir image ci-dessous), à la différence près que le contenu serait généré par les internautes.
Source: MyDestination.com
L’objectif caché de Google?
James van Thiel, responsable de Google Travel aux Pays-Bas, est intervenu sur la vision de la compagnie lors de la conférence sur l’etourisme ENTER 2013 en Autriche. Selon lui, Google va continuer de privilégier des outils permettant de raccourcir les délais de recherche, de fournir des informations pertinentes et de réduire le nombre de sites visités avant de procéder à la réservation. Ainsi, la firme espère être en mesure d’augmenter le coût par clic des liens commerciaux car elle estime que le taux de conversion sera plus élevé (plus de réservations par nombre de visites). Enfin, l’analyste Douglas Anmuth de Barclays Capital est persuadé que Google instaurera le paiement par clic pour les compagnies aériennes et les hôteliers sur Flight Search et Hotel Finder.
Quelques freins à son développement
En plus de faire l’objet d’enquêtes aux États-Unis et en Europe pour abus de position dominante dans la recherche en ligne, la firme subit les attaques de la coalition FairSearch, créée par plusieurs acteurs de l’etourisme (dont TripAdvisor, Kayak, Expedia et Microsoft). Cette dernière dénonce d’ailleurs les pratiques de Google dans un livre blanc. Cela pourrait-il freiner son expansion?
Comment les professionnels du tourisme peuvent-ils se préparer?
Si Google Travel devait faire surface, les DMO auraient de plus en plus de difficulté à se distinguer et à être visibles sur Google Travel face à la communauté de voyageurs qui publie des milliers de contenus, sans compter sur la base de données touristiques composée des pages Google+ Local. Selon Mathieu Bruc, blogueur sur etourisme.info, l’enjeu pour les gestionnaires de destination serait double: produire du contenu à valeur ajouté et organiser le contenu généré par les utilisateurs sur leur territoire. L’ensemble pouvant être repris sur Google Travel qui pourrait agir ainsi comme un agrégateur de contenus. Il restera bien entendu la possibilité d’activer le levier du référencement payant pour améliorer artificiellement son positionnement dans les résultats de recherche.
Le ministère du Tourisme brésilien a déjà pris les devants en créant la chaîne VisitBrasil sur YouTube en partenariat avec Google. L’internaute visualise des vidéos de la destination en lien avec ses critères de voyage (durée, mois, composition du groupe, activités désirées). Le lieu est indiqué automatiquement par Google Maps et les vidéos peuvent être partagées sur Facebook.
Source: YouTube.com
James van Thiel conseille aux entreprises touristiques de s’assurer de disposer de ressources compétentes en emarketing, capables de maîtriser les technologies et les outils qui gèrent les données et les contenus de leur site (lire aussi: Doit-on s’intéresser au Big Data?).
Selon Thomas Steinbrecher, directeur du secteur voyage chez Google France, la firme peut aider les professionnels touristiques car elle est capable de connaître les besoins des clients actifs sur le Web. En effet, elle détient 60% de l’univers de la recherche en ligne aux États-Unis et 90% en Europe (lire aussi: Comment utilise-t-on les moteurs de recherche pour planifier son voyage?). Grâce à Google Analytics, son outil d’analyse permettant de mieux comprendre le comportement des internautes à travers leurs requêtes, les entreprises ont davantage d’informations sur leurs processus de décision. De plus, ces dernières peuvent consulter la page Business Owners afin de savoir comment améliorer leur visibilité en ligne.
Alors, à savoir si Google Travel se range du côté des alliés ou des ennemis, c’est selon l’utilisation que l’entreprise touristique décide d’en faire. Mais une chose est sûre, il faut surveiller ce géant que rien ne semble pouvoir arrêter.
Commentaire – Mathieu Bruc
Il est intéressant d’opposer à Google les différentes stratégies des moteurs de recherche que sont Yahoo! et Bing avant l’arrivée attendue de Facebook dans la recherche sociale et sémantique. Les deux premiers déclinent un guichet d’entrée unique sur le voyage à partir d’une interface peu aguichante notamment celle de Yahoo! qui mélange tant bien que mal informations et outils de réservation. En opposition et en parfaite adéquation avec sa philosophie, Google déploie horizontalement et insidieusement ce que l’on pourrait appeler le «Googlécosystème» en disséminant ses services, rachetés ou développés, les uns à côté des autres, chacun répondant à un besoin spécifique comme la réponse à “la meilleure expérience utilisateur possible”.
A la vitesse d’évolution d’Internet et aux changements de paradigmes, bien malin celui qui prédira la stratégie de Google ces prochaines années, mais si je devais me risquer à un pronostic, compte tenu des informations dont on dispose publiquement, je ne pense pas que le moteur puisse lui-même agir comme une agence de voyages en ligne. Il viendrait de fait marcher sur les plates-bandes des OTA, DMO et autres gros annonceurs sur le réseau Adwords dans le domaine du voyage (troisième secteur en matière d’achat évalué à $2,4 milliards en 2011!) et ainsi mettre en péril son redoutable modèle économique dont il tire encore et toujours sa richesse. À l’inverse, on risque de voir fleurir dans les pages de recherche sur Google, l’apparition de ses différents services directement dans les pages de résultats selon le contexte comme la mise en avant de Google Flight sur mobile lorsque l’on tape une requête liée à un trajet aérien.
L’illustration ci-dessous montre également l’intégration de Google Hotel Finder dans les résultats pour une recherche «hôtel Paris» et souligne la prégnance des liens sponsorisés, le premier résultat en terme de référencement naturel étant relégué en bas de page, dans une zone écran beaucoup moins visible. Ainsi pour apparaître dans les zones de résultats les plus visibles, les annonceurs devront irrémédiablement souscrire aux services propulsés par Google et payer sur un principe de monétisation au clic, à moins qu’ils ne souhaitent se couper du trafic hégémonique de Google et ses 90% des parts de marché sur les moteurs de recherche en Europe (Source AT Internet Janvier 2013) contre «seulement» 67% aux États-Unis (Source Comscore 2012), vaste utopie!
Je crois ainsi que la concurrence de Google reste principalement celle du marché de la recherche en ligne avant d’être celle des acteurs du tourisme. Il s’agit, pour les entreprises touristiques, de miser principalement sur la production de contenus à valeur ajoutée, tandis que Google continuera de miser sur leur référencement et les moyens de les rendre accessibles dans les meilleures conditions à l’utilisateur, beaucoup moins à les produire lui-même malgré les contre-exemples des guides Zagat et Frommer’s. Le lancement récent de Art, Copy and Code dont l’objectif est de valoriser des “expériences pour réinventer la publicité“ montre encore une fois tout l’intérêt de Google à être un acteur incontournable de la publicité et en ligne et notamment en mobilité autour des objets connectés. “Mobile first !” proclamait Eric Schmidt (ex CEO Google). Les dernières innovations telles Google Glass (dont le nom de projet laisse à penser que tous les écrans pourraient utiliser cette technologie par exemple sur les pare-brise de voitures avec pilote automatique que Google s’apprête à commercialiser, voir vidéo) et Google Now, comme assistants personnels touristiques, vont probablement changer demain notre façon de voyager et de voir le monde…
Mathieu Bruc |
Après un Master Professionnel Auteur Rédacteur Multimédia sur le site EERIE de l’École des Mines d’Alès en France, Mathieu Bruc a été en charge du site de destination Cévennes Tourisme à la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Alès Cévennes pendant quatre ans. Depuis février 2011, il a rejoint le Comité Régional de Développement Touristique d’Auvergne pour la mise en œuvre de projets multimédias dans le cadre de la stratégie e-tourisme de l’Auvergne. Il blogue à titre personnel sur blog-etourisme.com et etourisme.info
Site web: about.me/MathieuBruc Twitter: @MathieuBruc |
Sources:
– Andrieu, Olivier. «FairSearch : le lobby anti-Google», abondance.com. 12 octobre 2011.
– Bruc, Mathieu. «Google innove dans l’eTourisme ! Quelle place pour les organismes officiels du tourisme ?», etourisme.info, 5 octobre 2011.
– Bruc, Mathieu. «Et si Google Travel n’était qu’un mythe ? Le Googlécosytème touristique ! [infographie]», blog-etourisme.com, 4 octobre 2011.
– Bruc, Mathieu. «GoogleTravel lance Troogle : le géant des voyages en ligne !», blog-etourisme.com, 9 mars 2010.
– Collet, Valérie et Emmanuel Egloff. «Google investit le marché du tourisme», http://bourse.lefigaro.fr, 17 août 2012.
– Duffez, Olivier. «Google rachète les guides de voyages Frommer’s», webrankinfo.com, 15 août 2012.
– Fox, Linda. «My Destination goes on the offensive, calls Google a commodity in travel content search», tnooz.com, 7 septembre 2012.
– Kassous, Robert. «Pourquoi Google Investit dans le secteur tourisme?», obsession.nouvelobs.com, 29 août 2012.
– Krau, Aurélie. «Et si Google devenait le maître de l’e-travel ? (Partie 2)», kraukoblog.fr, 4 octobre 2011.
– Linda Lainé. « Google est-il une menace ? », L’écho touristique, 14 décembre 2012.
– O’Neill Sean. «Where Google Travel is heading, according to one of its employees», tnooz.com, 31 janvier 2013.
– Perronnet, Céline. «Ce que Google peut apporter aux professionnels du tourisme», lechotouristique.com, 1er février 2013.
– Schonfeld, Erick. «The $700 Million Travel Search Deal And Google’s Shift In Strategy», techcrunch.com, 4 juillet 2010.
– Zenou, Aurélia. «Les outils Google pour le tourisme», semaweb.fr, 2 mai 2012.
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Merci pour cet article. Je pense en effet que certains ont du soucis à se faire… les intermédiaires !
En effet, les trois principes clés de Google sont la pertinence, la rapidité et l’exhaustivité. Or les intermédiaires (meta moteurs, …) rallonge le temps de réponse et abaisse la pertinence !
Je pense que cette évolution passera par le moteur en lui-même et pas par une plate-forme différente comme celle présentée plus haut qui n’est pas du tout dans les codes de Google : minimaliste !