La réforme de l’assurance-emploi: quel avenir pour les entreprises saisonnières?
L’industrie touristique compte 29% d’emplois saisonniers représentant 100 000 travailleurs. Les modifications récentes au régime de l’assurance-emploi exigent de la plupart de ces derniers qu’ils trouvent un emploi permanent. Quelles en seront les répercussions sur l’industrie touristique?
Des étudiants à la maîtrise en développement du tourisme de l’Université du Québec à Montréal, Simon Beaubien, Élise Corneau-Gauvin et Camille Watson, ont étudié la question. Voici un aperçu de leurs recherches suivi d’un commentaire de la directrice de l’Association québécoise de l’industrie touristique.
Le travailleur saisonnier devient le prestataire fréquent
Depuis janvier 2013, soit l’entrée en vigueur de la réforme, les personnes qui bénéficient de l’assurance-emploi voient leur dossier traité selon leur historique de prestataire. Trois catégories ont été créées:
- Le travailleur de longue date a payé au minimum 30% de la cotisation annuelle maximale d’assurance-emploi pendant au moins sept des dix dernières années et n’a pas reçu plus de 35 semaines de prestations régulières au cours des cinq dernières années.
- Le prestataire fréquent a présenté trois demandes ou plus de prestations régulières et en a reçu pendant plus de 60 semaines au cours des cinq dernières années.
- Le prestataire occasionnel reçoit des prestations régulières mais son statut ne correspond à aucune des catégories précédentes.
La plupart des travailleurs saisonniers entrent dans la catégorie du prestataire fréquent. Tout comme auparavant, celui-ci doit amorcer une démarche raisonnable de recherche d’emploi dès le début de sa situation de chômeur. Les principaux changements sont les suivants. Pendant les six premières semaines de prestations, il doit poser sa candidature ou accepter toute offre pour un emploi semblable et dont la rémunération est d’au moins 80% de son salaire précédent.
À compter de la 7e semaine, le prestataire fréquent doit accepter tout emploi convenable pour lequel il est qualifié et qui offre au moins 70% de la rémunération de son dernier emploi (voir le graphique 1). Il doit considérer les offres dans un rayon de déplacement allant jusqu’à une heure ou même plus, en fonction de son historique de travailleur, et qui répondent aux critères de l’État comme étant un «emploi convenable».
Les craintes de l’industrie touristique
L’Association québécoise de l’industrie touristique (AQIT) est inquiète de cette réforme. Selon elle, ces modifications toucheront principalement les entreprises saisonnières des régions périurbaines telles que les Laurentides, les Cantons-de-l’Est, la Montérégie, la Mauricie, la région de Québec et l’Outaouais. Comme de multiples «emplois convenables» sont disponibles dans un rayon de moins d’une heure de déplacement, les travailleurs saisonniers de ces entreprises seront contraints d’accepter un emploi pour lequel ils sont qualifiés, possiblement dans un autre secteur d’activité et à un salaire moindre, sans quoi leurs prestations seront coupées.
De plus, ils ne réintégreront pas nécessairement l’entreprise touristique lorsque celle-ci manifestera des besoins en main-d’œuvre, puisqu’ils risqueraient de ne pas bénéficier de l’assurance-emploi lors de la basse saison suivante, ayant volontairement quitté un emploi permanent pour une situation plus précaire. Voilà un scénario bien pessimiste, mais possible.
La saisonnalité et les régions
Selon une étude réalisée pour le Conseil québécois des ressources humaines en tourisme (CQRHT), 29,1% des emplois dans le secteur sont saisonniers, contre 19% dans l’ensemble des industries. Un vaste chantier sur la saisonnalité, piloté par des comités sectoriels de main-d’œuvre*, dont le CQRHT, s’est amorcé en 2010. Une revue de littérature met en évidence la réalité du travail saisonnier au Québec. Il s’agit de l’emploi saisonnier en général et non pas uniquement de l’emploi en tourisme. Selon les données de l’Institut de la statistique du Québec qui y sont présentées, l’amplitude saisonnière, soit l’écart entre le niveau mensuel d’emploi le plus bas de l’année et celui le plus haut, s’élève à 4,7% pour l’ensemble du Québec.
Ce sont les régions de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et du Bas-Saint-Laurent qui enregistrent les amplitudes les plus fortes avec 28,8% et 11,5% respectivement. La plupart des régions limitrophes aux grands centres enregistrent des amplitudes inférieures à 6%. Le tableau suivant illustre cette amplitude saisonnière par région, pour l’année 2009.
*Ces comités représentent les secteurs suivants : production agricole, horticulture ornementale, aménagement forestier, tourisme, pêches maritimes, transformation alimentaire, commerce de détail, transport routier.
Les entreprises touristiques se prononcent
À l’été 2012, un partenariat entre l’AQIT et le CQRHT a permis de sonder des entreprises touristiques afin de connaître leur perception de l’incidence de cette réforme. Voici quelques résultats colligés auprès de l’échantillon de 363 entreprises:
- 75% perçoivent cette réforme d’un œil défavorable;
- 90% ont des employés qui entrent dans la catégorie des «prestataires fréquents»;
- 89% de ces prestataires fréquents reviennent travailler d’année en année;
- 20% des entreprises sondées ferment leurs portes en dehors de la saison touristique;
- 60% affirment qu’elles connaissaient des difficultés à recruter du personnel saisonnier avant même l’entrée en vigueur de la réforme;
- 20% craignent de voir partir leurs employés saisonniers à cause de cette réforme.
L’enjeu le plus redouté par les entreprises touristiques par rapport à cette réforme est celui de la diminution de la fidélité à l’employeur et, conséquemment, la hausse du taux de roulement. Voici les répercussions potentielles de cet enjeu, selon l’AQIT:
- perte d’expertise;
- diminution de la qualité des services offerts;
- baisse de la compétitivité;
- fardeau supplémentaire en recrutement et en formation;
- possibilités de fermeture.
Ce même sondage révèle que moins de 5% des entreprises ont une entente formelle avec un autre employeur de leur région afin de jumeler les emplois sur une partie ou la totalité de l’année. Cette stratégie n’est pas possible partout. Parfois, la seule saison touristique est estivale.
Pourquoi cette réforme?
La réforme de l’assurance-emploi s’inscrit dans le cadre du Plan d’action économique 2012 du gouvernement fédéral. Elle a pour but:
- de répondre à la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs d’activité et de favoriser la transversalité des travailleurs dans une même communauté;
- d’aider à mieux former les Canadiens aux emplois offerts;
- de favoriser l’occupation des emplois par des Canadiens et de réduire la demande en main-d’œuvre étrangère temporaire.
Pour jumeler les Canadiens aux emplois disponibles dans leur région, le gouvernement a créé le système Alerte-Emploi qui enverra aux prestataires des avis d’offres d’emploi dans la profession sélectionnée ainsi que dans les métiers connexes. Les chômeurs recevront par courriel jusqu’à deux bulletins par jour les informant des emplois disponibles dans leur région.
Des recommandations
Comme le souligne l’AQIT, cette réforme pourrait avoir de lourdes conséquences sur l’industrie touristique, comme la désertification de la main-d’œuvre dans les industries saisonnières, puisque les employés, à moyen terme, se verront refuser l’accès aux prestations. L’Association émet deux recommandations:
- Obtenir des assouplissements aux changements à l’assurance-emploi pour tenir compte des emplois saisonniers;
- Faire reconnaître le statut de travailleur saisonnier tel que l’industrie touristique et six autres secteurs économiques l’ont proposé dans le cadre du Chantier sur la saisonnalité.
Alors que l’industrie touristique peine déjà à recruter et à fidéliser une main-d’œuvre qualifiée, la réforme de l’assurance-emploi ne simplifiera pas la tâche aux entreprises touristiques saisonnières. Ces changements viennent tout juste d’entrer en vigueur, nous n’en connaîtrons les effets réels qu’au cours des prochaines années.
Commentaire – Lucie Charland, AQIT
La saisonnalité est un phénomène extrêmement présent en tourisme et comporte certains défis de taille pour les dirigeants d’entreprises. L’offre touristique étant plus diversifiée dans les grands centres comme Montréal et Québec, la saisonnalité y est moins vécue. Les entreprises de ces régions peuvent par ailleurs compter sur la main-d’œuvre étudiante pour combler, du moins en partie, leurs besoins en personnel. La réalité est toute autre dans certaines régions où des clientèles touristiques ont déjà été refusées et des projets abandonnés en raison du manque de personnel.
Le tourisme est une industrie de service où l’employé est au cœur de la prestation, en contact direct avec les clientèles. La capacité à retenir une main-d’œuvre qualifiée est primordiale à l’essor de l’industrie. Les travailleurs du tourisme choisissent notre secteur par intérêt. À voir la très grande majorité d’entre eux revenir d’année en année, il est clair qu’ils apprécient leur emploi. Au Québec, les emplois saisonniers sont sans contredit essentiels au fonctionnement d’une entreprise touristique, mais ils le sont aussi pour la vitalité économique des régions.
Il est indéniable que les nouvelles règles en matière d’assurance-emploi, appliquées sans égard aux particularités de l’industrie, ajoutent un fardeau supplémentaire sur les dirigeants d’entreprises touristiques qui pouvaient jusqu’alors compter sur la récurrence d’une main-d’œuvre formée.
Ainsi, au regard du programme d’assurance-emploi, l’Association québécoise de l’industrie touristique (AQIT), organisme qui rassemble, concerte et représente les entreprises touristiques en agissant comme porte-parole de l’industrie, plaide pour que les emplois saisonniers soient reconnus comme des emplois convenables, qu’un statut de travailleur saisonnier soit clairement défini et que les secteurs qui embauchent une main-d’œuvre saisonnière soient identifiés comme tel.
Ce dossier multisectoriel d’importance est priorisé par les membres de l’AQIT dans la Plateforme 2013-15.
Collaboration
Lucie Charland
Directrice générale
Lucie Charland est directrice générale de l’Association québécoise de l’industrie touristique depuis 2008. Mme Charland occupait auparavant le poste de directrice de l’École de tourisme et d’hô[...]Lire plustellerie du Collège Mérici. Les cinq années à ce poste ont été précédées par une période de sept ans en enseignement de la gestion hôtelière au même collège. Elle a également œuvré au Château Frontenac à Québec où elle a dirigé le service des congrès après avoir représenté le même hôtel sur différents marchés d’affaires et d’agrément. Parmi les expériences professionnelles de Mme Charland, on note son implication au sein de divers conseils d'administration dont celui du Carnaval de Québec, de l’Association québécoise de la formation en restauration, tourisme et hôtellerie (AQFORTH) et du Conseil de l’Office du tourisme de Québec (OTQ).
Site de l’institution : http://www.aqit.ca/
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Source(s)
- AQIT. «Faits saillants de l’étude d’impact des modifications annoncées au régime d’assurance-emploi sur les entreprises de l’industrie touristique», automne 2012.
- Beaubien, Simon, Élise Corneau-Gauvin et Camille Watson. «Les impacts des changements de la loi sur l’assurance-emploi sur l’industrie du tourisme», réalisé dans le cadre du cours de maîtrise Cadre politique, légal et administratif du tourisme à l’UQAM, 18 avril 2013.
- «Chantier sur la saisonnalité: Pour un développement durable de l'emploi», une initiative de huit comités sectoriels de main-d'oeuvre, décembre 2010.
- Ressources humaines et Développement des compétences Canada. «Changements apportés au régime d’assurance-emploi», consulté le 18 avril 2013.
- Zins Beauchesnes et Associés. «Diagnostic setoriel de la main-d'oeuvre en tourisme - Édition 2010», préparé pour le Conseil québécois des ressources humaines en tourisme, mars 2010.
Sites Web:
- AQIT
- CQRHT
Bonjour, mon entreprise est une très petite entreprise, je suis gestionnaire de deux relais touristiques dans le secteur de Ferme-Neuve dans les Hautes Laurentides. J’ai en hiver, une douzaine d’employés, certains étudiants qui ne viennent que les weekend, mais la majorité sont des adultes entre 25 et 55 ans. Nous avons une très haute saison l’hiver, et une haute saison en été, mais les période entre deux soit de mi-mars à mi-juin je dois pratiquement fermer et rappeler mon monde au début juin puis j’ai une autre période creuse soit après les couleurs donc début octobre jusqu’à l’ouverture des sentiers de motoneige (début janvier) ou je suis aussi fermée. Sans ces employés qui me sont loyaux et fidèle grâce aux période de chômage, je ne sais pas ce que je pourrai faire pour recruter. La formation est longue et les conditions de travail sont difficiles. La réforme de l’assurance emploi pourrait causer la fermeture de mes deux entreprises si je ne peux me fier ma mes employés saisonniers qui reviennent chaque année. Ces Relais que je gère, sont des attractions touristiques majeure de notre région. Qui pensez-vous écopera de la fermeture de ces relais faute de main d’oeuvre. Le touriste donc l’économie locale entière. Nous devons obtenir un statut d’employé saisonnier reconnu c’est primordial. Merci de continuer dans l’avancement de ce dossier. Bien à vous, Sylvie Savard
En étant une petite entreprise je suis d’accord comme vous Mme Savard. Il est difficile de recruter et de recommencer toujours à former le personnel.
Les conditions de travail pour moi en ayant toujours de nouveaux personnels non expérimenté sera difficile et même dans l’obligation de me poser à moi aussi de sérieuse questions de continuer ou de mettre un terme à cette belle ouverture pour notre tourisme.
Bien à vous.
Rita Lévesque