Ces pirates à l’abordage de la ville!
C’est dans le but de simplifier, d’améliorer et d’embellir la vie des citadins que les pirates urbains prennent d’assaut le mobilier public et s’amusent à le transformer pour en détourner l’usage.
Afin de se frayer un chemin dans la jungle urbaine encadrée par un système de gouvernance complexe et peu réactive aux nouveaux besoins des citadins, les artistes investissent l’espace public pour améliorer l’expérience des résidents et des touristes.
Une pratique ancrée dans la tendance
Si les artistes qui s’adonnent au détournement du mobilier urbain se qualifient de hackers ou de pirates, c’est que leur démarche est proche de celle de leurs cousins informaticiens. En effet, l’idée est de rentrer dans un système établi, d’y trouver une faille et d’en modifier la forme pour changer son utilité première. Dans le Dictionnaire urbain, le hacking urbain «consiste à détourner la ville de ses fonctions premières (habiter, consommer, travailler, circuler…)».
Le bricolage de l’environnement urbain fait appel à la réutilisation des objets publics, à la maximisation des usages, à l’action citoyenne, au divertissement et à la recherche d’esthétisme. Cette pratique s’inscrit également dans la tendance du Do It Yourself, qui permet à ses adeptes de développer leur créativité tout en s’affranchissant du système de consommation traditionnel. L’idée est de répondre à des besoins que les différents acteurs de la gouvernance municipale ne peuvent prendre en compte.
Apparenté à la pratique illégale et marginale de l’art de la rue, le piratage urbain reprend également les caractéristiques de l’économie collaborative. Les artistes posent un geste gratuit afin d’améliorer l’expérience quotidienne des citoyens et des touristes. L’intention se veut désintéressée, tournée vers l’autre, facilitante pour la rencontre humaine, valorisante pour la culture locale et en marge du système établi.
À l’assaut de la notion de propriété publique
Si le mobilier urbain appartient à tous, chacun ne pourrait-il pas en user comme bon lui semble? De même, quand un espace est loué, quelles sont les limites de son utilisation? C’est dans cet esprit que les adeptes du détournement transforment temporairement les espaces de stationnement à l’occasion du Park(ing) Day qui, depuis 2005, a lieu le troisième samedi de septembre. Durant le temps qui leur est alloué par la location de leur place de stationnement, les citoyens de plus de 35 pays cherchent à sensibiliser les autorités municipales sur la nécessité de multiplier les espaces verts et les lieux de rencontre sociale en ville.
Source: © BY NC EURIST e.V. Source: © BY NC Boenau
À New York, les citadins sans cour arrière peuvent louer le Timeshare Backyard, un espace situé entre deux bâtiments de l’East Village. Pour 100$ de l’heure, il est ainsi possible de profiter du gazon, du barbecue et de la table de pique-nique et d’admirer les graffitis sur les murs.
Source: © BY SA NC Matt Green
Branle-bas de combat pour améliorer la ville
En utilisant l’infrastructure existante, les hackers enrichissent la ville et la rendent plus efficiente. En avril 2014, le projet new-yorkais Rotten Apple mettait en lumière l’utilisation multiple du mobilier urbain en 23 détournements dont voici quelques exemples:
Source: Rotten Apple
Source: Rotten Apple
Source: Rotten Apple
Source: Rotten Apple
Le collectif Fabrique-Hacktion propose quant à lui une intervention simple, mais efficace pour favoriser la mobilité urbaine. Des autocollants représentant un Vélib’, le système de vélo en libre-service de Paris, sont appliqués sur les panneaux d’indications dans le métro afin de montrer l’emplacement de la borne la plus proche et de créer un lien clair entre ces deux moyens de transport.
Source: Fabrique-Hacktion
Le bricolage urbain permet également de maximiser l’utilisation d’espaces désuets, mal conçus ou sous-utilisés. C’est le cas d’un stationnement peu fréquenté à Amsterdam qui s’est vu transformé temporairement en terrain de minigolf.
Source: Pop-Up City
Avec la généralisation des téléphones portables, un grand nombre de cabines téléphoniques ont perdu de leur utilité, mais leur présence marque encore le paysage urbain. En les transformant, entre autres, en bibliothèque ou en aquarium, les pirates redoublent de créativité pour leur donner une seconde vie.
Source: Graphisme & interactivité
Source: Graphisme & interactivité
Source: YouTube
Cap vers une nouvelle expérience urbaine
Le cercle des hackers ne se limite pas à un nombre restreint d’artistes ou de designers. Au contraire, le mouvement cherche à mobiliser l’ensemble de la communauté urbaine afin qu’elle prenne elle-même l’initiative de redéfinir l’espace dont elle a besoin. En posant un regard neuf sur le mobilier public, les pirates participent à la création d’une nouvelle expérience urbaine, où la ville ne se réduit pas à un lieu encadré et pourvu d’équipements uniquement utilitaires. L’environnement urbain peut également être propice aux interactions sociales, aux réflexions militantes ou à l’expression esthétique.
À Toronto, des pirates ont transformé des panneaux d’informations touristiques installés par la Ville. Par ce geste, ils dénonçaient le fait que des stationnements de vélos et des espaces verts aient été sacrifiés pour des structures affichant en réalité beaucoup de publicités et peu d’informations touristiques. Sous forme de cartes artistiques, d’affiches transmettant un message ou de tableaux noirs, les panneaux transformés devenaient une invitation au divertissement, à l’expression et à la participation.
Source: The Pop-Up City
Source: The Pop-Up City
Par leur Opération Échangeur TRICOT, les Ville-Laines cherchaient à embellir l’espace particulièrement peu attrayant de l’échangeur Turcot à Montréal, mais également à exprimer leur «découragement face au projet de reconstruction annoncé».
Crédit: Colin Earp-Lavergne 2013
L’action du Clan du néon est un autre bel exemple d’implication citoyenne: sans dégradation ni violence, de petits groupes éteignent les enseignes extrêmement énergivores qui restent allumées toute la nuit et qui privent les citadins d’une obscurité apaisante.
Source: YouTube
À travers leurs interventions, les hackers anticipent les besoins des citoyens et adaptent la ville plus rapidement que les urbanistes. De plus, avec la popularité grandissante de l’open data (données ouvertes), les informations détenues par une municipalité sont désormais accessibles à tous. Le recensement des services et des équipements urbains permet aux pirates de cibler directement les espaces à améliorer et facilite leur démarche. Ces exemples vous inspirent-ils pour passer à l’action?
Image à la une: Street Art Utopia/Facebook
Analyse réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Tourisme Montréal sur le tourisme culturel
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Source(s)
- Barr, Meghan. «Timeshare Backyard Rents Yard Space in Manhattan for $100 An Hour», Huffington Post, 9 août 2012.
- Benfield, Kaid. «See How People Take Back Their Streets on International Park(ing) Day», Switchboard, 23 septembre 2013.
- Chow, Emma. «Urban Hacktivists Take Over Street Ads in Toronto», The Pop-Up City, 23 juillet 2012.
- Cook, Hannah. «Disused Car Park Turns into a Temporary Mini Golf Course», Pop-Up City, 25 octobre 2013.
- Demain la ville. «Bricolages urbains: détournements de ville», 19 février 2014.
- Dorne, Geoffrey. «Que faire des cabines téléphoniques? #HACKTHECABINE», graphism.fr, 3 octobre 2012.
- Gargov, Philippe. «Chroniques des villes agiles #6 – Droit de passage piéton», [pop-up] urbain, 18 avril 2012.
- Gargov, Philippe. «Chroniques des villes agiles #2 – Éloge du hacking urbain», Chronos, 28 octobre 2011.
- Malsch, Edouard. «Libérons l’espace public!», UrbaNews, 29 novembre 2013.
- Malsch, Edouard. «Mobilier urbain, hack et démultiplication des usages», UrbaNews, 2 avril 2014.
- Moon, Melody. «Hacking Through Cities with Creative Sustainability», Pop-Up City, 2 avril 2014.
- Société de transport de Montréal. «Des nouvelles données pour Hack ta ville!», communiqué de presse, 7 septembre 2012.
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