Comment créer une expérience
Pour concevoir une expérience, il faut mettre en scène le service de façon à engager personnellement chaque individu. Le tourisme est une toile de fond parfaite pour livrer des expériences.
Il y a 18 ans, les auteurs américains Joseph Pine et James H. Gilmore publiaient un ouvrage qui allait bousculer le marketing : The Experience Economy. Cette approche, testée pendant plusieurs années par des entreprises et des destinations touristiques, a maintenant fait ses preuves. Gregory Guzzo et Jean-Philippe Gold maîtrisent tout à fait ce concept. Ils l’ont chacun mis en application dans leur organisation respective, soit l’Office du tourisme de Val Thorens et le Comité régional de tourisme Hauts de France. Devenus des experts en la matière, ils ont obtenu l’accréditation des auteurs susmentionnés leur permettant d’offrir des formations sur le design d’expérience.
C’est à ce titre que la Chaire de tourisme Transat de l’ESG UQAM les recevait, le 8 novembre dernier, afin de permettre à des organisations québécoises de mieux cerner le design d’expérience. Voici un aperçu de cette rencontre.
L’évolution vers l’expérience
L’émotion, l’authenticité, la surprise, des employés heureux et engagés, la personnalisation, un client transformé, ces termes reviennent continuellement dans le langage associé à celui de l’expérience client. Pour bien comprendre le concept, les formateurs proposent de revenir à la base en démystifiant le modèle de la progression de la valeur économique.
Pour illustrer simplement cette progression, ils utilisent l’exemple du café. En se référant à l’image ci-dessus, la matière première est formée des grains de café. Le stade du produit se traduit par le paquet de café que l’on peut se procurer à l’épicerie. Prendre un café dans un établissement comme un bar ou un restaurant représente l’étape du service. Cette action s’inscrit comme expérience lorsqu’elle permet de faire vivre un instant mémorable grâce à l’ambiance, à la qualité de l’interaction avec le personnel, à l’esthétisme du lieu et à la thématique globale de l’endroit, comme le véhicule la marque Starbuck. Alors, le client est prêt à débourser plus pour obtenir cette expérience.
Un exemple concret en tourisme
Dans le cadre d’un exercice, les participants à la formation devaient illustrer un cas concret issu de l’industrie touristique. Voici celui d’un attrait touristique situé en Abitibi-Témiscamingue présenté par la directrice de l’association touristique régionale, Randa Napky. Le Refuge Pageau accueille et soigne des animaux sauvages blessés dans la région avant de les remettre en liberté. Le refuge est ouvert aux visiteurs.
En appliquant au Refuge Pageau le même modèle que celui du café, cela permet de se recentrer sur l’essence même de l’activité. D’abord, la faune de la région, plus particulièrement les animaux blessés, constitue la ressource première du Refuge Pageau. Le produit est le refuge qui rassemble ces animaux en un seul lieu. Le service se traduit par le tour guidé, ou non, de l’endroit, à travers lequel le visiteur découvre les animaux et peut lire les informations sur les panneaux installés le long du parcours. Le fondateur de ce lieu, Michel Pageau, a longtemps représenté le point culminant de l’expérience au Refuge. Ce personnage unique, son charisme, les histoires sur chacun des animaux blessés, la relation particulière qu’il entretenait avec les animaux (l’homme qui parle avec les loups) a fait la popularité de cet endroit et constitué l’expérience client et l’élément mémorable de la visite.
Une expérience réussie
À la suite de son décès, en octobre 2016, le Refuge a dû revoir la façon de livrer l’expérience. C’est ainsi qu’une activité unique a été développée. Les visiteurs qui le souhaitent peuvent rencontrer les animaux, sous les conseils et la supervision du personnel. Ils peuvent ainsi les approcher, les flatter, les prendre dans leur bras dans certains cas. Le tout doit être fait dans le plus grand respect. Pendant ce temps, les employés relatent l’histoire et l’évolution de ces animaux, offrant ainsi un contact privilégié entre l’animal et le visiteur. Ce dernier peut donc approcher la moufette ou flatter le loup, malgré les risques que cela représente puisqu’il s’agit bien d’animaux sauvages. Mais les rencontres se font sous la bienveillance des employés qui savent comment s’y prendre. Cet échange ne laisse personne indifférent. La plupart des clients sont émus et perçoivent la faune et leur relation avec celle-ci d’un œil différent à la suite de leur visite.
Voilà un exemple type d’expérience. Les émotions, les relations, les histoires, les intentions sincères (authenticité), la transformation de l’individu grâce à cette visite, la mémorabilité de cette activité, puis le bouche-à-oreille qu’elle suscite sont tous des éléments qui contribuent à en créer une expérience. Cette dernière constitue en elle seule le marketing de l’établissement puisque comme le précisent messieurs Guzzo et Gold, l’expérience est le marketing!
Comment concevoir une expérience
Lorsqu’on entame une réflexion sur la création d’une expérience, il s’avère utile de se poser deux questions :
- Quelle personne votre client souhaite-t-il devenir ou quel est son besoin transformationnel ?
- Comment mon organisation peut-elle l’aider à y arriver?
Les réponses orienteront la conception de l’expérience. Pour ce faire, les formateurs ont présenté des outils qui permettent de mieux cerner l’offre et d’identifier ce qui manque pour en faire une expérience. Voici la liste des cinq principes de conception d’une expérience :
- Attribuer un thème à l’expérience : trouver un fil conducteur qui donnera une pertinence à l’ensemble de l’expérience (ex. : faune régionale, bien-être, connexion avec la nature, etc.).
- Harmoniser les impressions : identifier le besoin du client, ce qu’il veut devenir, et nommer cinq à huit impressions que l’on souhaite laisser en ce qui a trait à ce besoin (ex. : transformation personnelle, évasion, connexion avec les proches, etc.).
- Éliminer les aspects négatifs : quels éléments peuvent atténuer la qualité du parcours client (ex. : musique trop forte au restaurant, attente longue à tel point de contact, etc.).
- Solliciter agréablement les cinq sens : identifier chaque élément sensoriel du parcours client pour en assurer la qualité. Attention à l’odorat. Il s’agit d’un important vecteur de souvenirs qui peut aussi s’avérer un ennemi si l’odeur est mauvaise.
- Identifier le ou les moments « signature », ceux qui resteront gravés à l’esprit.
Développer une culture de l’expérience
Messieurs Guzzo et Gold l’ont répété à plusieurs reprises, les employés doivent être partie prenante de ce processus. Ce sont eux qui livrent l’expérience. La joie de vivre et les impressions positives passeront par le contact avec les employés. Ceux-ci doivent être considérés comme des collaborateurs. Il faut leur donner les moyens d’être créatifs pour susciter la surprise, créer des moments magiques, des moments « signature ». Développer ce réflexe exige du temps. Mais il faut entamer le processus pour basculer vers une culture de l’expérience et devenir des metteurs en scène de notre destination.
Image à la une : © Chaire de tourisme Transat
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Source(s)
Gold, Jean-Philippe et Gregory Guzzo. « L’économie d’expérience ou comment créer une nouvelle proposition de valeur pour le client et l’entreprise » organisée par la Chaire de tourisme Transat de l’ESG UQAM, Montréal, 8 novembre 2017.
Je crois que l’on entretient une confusion véhiculée par cette idée qu’une expérience peut être livrée. L’expérience se vit (ou non) par le client. L’expérience est le résultat recherché, pas l’activité, le produit ou le service offert. Bien sûr on met toutes les chances de notre côté en optimisant le parcours client à toutes les étapes (expérience client). Mais il demeure qu’il n’y a pas de recette pour générer ce résultat autre que l’empathie qui fait que chaque client sort avec son histoire (expérience) personnelle d’une visite qui a pourtant été la même pour des centaines d’autres clients.
Il faut ajouter que le client est « l’unité de production de l’expérience » (Filser, 2002). Donc, dans un même établissement, certains consommeront seulement un service alors que d’autres vivront une expérience.