Le cas du Parc national du Mont-Orford
L’analyse du cas du Parc national du Mont-Orford illustre la dynamique des différents acteurs partagés entre les fonctions de conservation et de développement touristique dans l’aménagement d’une aire protégée, les tensions qui en résultent et les enseignements à en tirer. Ce cas est présenté dans L’écotourisme visité par les acteurs territoriaux. Entre conservation, participation et marché par Christiane Gagnon, professeure au Département des sciences humaines de l’Université du Québec à Chicoutimi et codirectrice du Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT), et Nathalie Lahaye, maître de conférences à l’Université de Toulouse, Institut universitaire de technologie de Tarbes en France.
Les caractéristiques du Parc national
- Une aire protégée de 58 km2 abritant les monts Orford, Chauve et Alfred-DesRochers.
- L’un des plus petits parcs nationaux au Québec, mais dont le taux de fréquentation est parmi les plus élevés du réseau.
- Situé en territoire urbanisé dans la municipalité régionale de comté (MRC) de Memphrémagog, à proximité du bassin montréalais et du nord-est des États-Unis.
- Créé en 1938 à des fins récréatives; à l’époque, des donateurs privés et 27 municipalités ayant souscrit à l’achat de terrains les cèdent au gouvernement.
- Un des principaux attraits touristiques et un important moteur économique de la région favorisant la villégiature et le récréotourisme.
- Les principales activités du parc sont le ski, le golf et le camping. Il compte aussi une base de plein air, un centre culturel et musical, des sentiers de randonnées ainsi qu’une grande diversité biologique floristique et faunique.
Le contexte institutionnel et politique
- 2001 – Modification de la Loi sur les parcs pour ne retenir qu’une seule catégorie de parc, soit celle de parc national, ce qui met côté à côte conservation et récréation extensive. Toute modification aux limites territoriales peut être soumise à une consultation publique.
- 2002 – Consultation sur la modification du zonage du parc et des orientations de développement à la suite du dépôt par Intermont inc. (compagnie gestionnaire des infrastructures de ski et de golf) d’un plan de développement visant à assurer la relance du centre de ski alpin et du terrain de golf. Divergence au sujet de l’échange de terrains prévu.
- 2004 – Mandat de consultation par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) à la suite du dépôt du Plan directeur de développement de la station touristique (265 mémoires déposés). Conclusion : examiner d’autres options qui permettent la coexistence des activités dans les territoires sous bail sans porter atteinte à l’intégrité du parc national.
- 2006 – Adoption du projet de loi 23 modifiant les limites du parc et autorisant la vente de terrains dézonés au secteur privé pour la construction immobilière, et ce, malgré les recommandations du BAPE. Ce projet de loi soulève la colère de la communauté, suscite des hostilités et crée une polarisation dans le conflit.
Les objets du conflit
- Modifications des limites du parc conduisant à des échanges de terrains pour soustraire du parc des terrains nécessaires à la construction du complexe immobilier visant à rentabiliser le centre de ski.
- Modalités de valorisation économique du parc et de la rentabilisation du centre de ski.
Les enjeux
- Intégrité écologique et territoriale quant aux limites.
- Équité quant à l’accessibilité du parc et de ses infrastructures.
- Plan de développement visant à relancer la montagne dotée d’installations vétustes et dont les activités sont de plus en plus menacées par les effets des changements climatiques, d’où l’importance du projet immobilier privé et luxueux pour attirer des touristes qui sont de plus en plus exigeants.
- Projet et échanges de terrains jugés inéquitables par les opposants à la fois écologiquement (diversité moins grande) et socialement (privilèges du promoteur et des propriétaires de condominiums limitant l’accès au patrimoine naturel du domaine public).
La dynamique des acteurs
- Mobilisation de nombreux protagonistes: promoteur privé soutenu par le gouvernement du Québec et conforté par une loi, acteurs économiques locaux et régionaux qui anticipent de profiter des retombées économiques liées au tourisme et à la construction du complexe récréotouristique, acteurs territoriaux (Ville, MRC, Conseil régional des élus, associations professionnelles) qui défendent souvent une position ambigüe, associations et usagers du parc.
- Formation d’une coalition d’acteurs, SOS Mont-Orford, qui accuse le gouvernement de privatiser la montagne et de favoriser les amis du parti, voire de créer un précédent mettant en jeu l’intégrité du parc et, potentiellement, celle de l’ensemble des 22 parcs nationaux du réseau québécois.
- Dégagement d’un consensus hybride, à savoir l’importance du parc pour la qualité de vie de la communauté et des multiples usagers et comme moteur de l’activité touristique.
- Mobilisation qui s’étend peu à peu à l’ensemble de la population québécoise contre la vente de terrains, la modification des limites du parc et le projet de développement immobilier.
- Dénonciation de la nature même du projet de développement touristique, bien loin du modèle écotouristique.
L’issue du conflit
En 2007, le gouvernement, devant l’ampleur du conflit, fait volte-face: les terres publiques ne seront pas vendues. Pour se sortir de ce conflit, il confie à la MRC de Memphrémagog le mandat de trouver un projet d’aménagement réconciliateur capable d’allier préservation et développement, par le biais d’un projet écotouristique plus compatible avec la vocation d’un parc national.
En 2008, Québec entreprend un programme de travaux de réhabilitation des composantes naturelles du domaine skiable et du terrain de golf.
En 2009, le dépôt du rapport au gouvernement ne fait pas l’unanimité. Les deux centres d’hébergement de moindre ampleur que le premier, sur des terres privées, sont destinés à garantir la pérennité du centre de ski. Ils sont reliés au domaine skiable par des remontées qui doivent bénéficier d’un droit de passage sur les terres publiques. Pour les opposants, le projet de liaison par télécabine signifie la porte ouverte à tout autre type d’aménagement de la montagne.
L’intensité de la crise a créé «un avant et après Orford».
Les enseignements
Ce conflit illustre:
la difficulté à trouver une voie d’intégration collectivement admise où s’opposent deux grands types de valeurs: la conservation par l’intégrité écologique et territoriale, et la mise en valeur par le développement d’une offre touristique plus moderne;
le manque de compréhension du poids social et historique associé à la montagne en tant que symbole de la beauté des paysages estriens et de la valeur de préservation par l’action des donateurs;
la nature très souvent conflictuelle du processus de valorisation d’un territoire et les divergences d’intérêts, de valeurs et de représentations entre les différents acteurs;
la juxtaposition des mécanismes de décision et de gestion, les limites de la gouvernance non ancrée territorialement, le manque d’articulation entre les échelles territoriales dans un projet initié par l’État;
la force d’une société civile qui s’impose comme acteur incontournable et des groupes de pression obligeant le gouvernement à reculer et à trouver de nouvelles solutions;
le poids du mouvement traduisant la volonté de redéfinir la conservation de la nature dans une forme plus participative;
la défense d’un bien public et de l’équité à l’accès, la détermination populaire de protéger les parcs;
l’insuffisante intégration des communautés locales dans le processus de décision et de gestion du projet;
les nombreux enjeux relatifs au développement durable, soit l’équilibre entre les différentes fonctions éducative, récréative, culturelle et historique, économique, sociale, de préservation et de protection;
le besoin d’une gouvernance territoriale et participative sans polarisation du principe dominant de la rentabilité économique ou celui de l’intégrité écologique;
la fragilité du réseau des parcs québécois, le fait que la protection des parcs nationaux n’est pas totalement acquise, que les limites territoriales peuvent être révisées, et la permanence de protection, remise en cause.
La suite
En mars 2010, le gouvernement du Québec dépose le projet de loi 90 visant d’une part la vente par appel d’offres des équipements de la station de ski et du terrain de golf et, d’autre part, l’intégration des terres publiques au Parc national du Mont-Orford. Ce projet de loi prévoit aussi la fermeture et le démantèlement des installations du centre de ski et du terrain de golf si l’option d’acquisition et de gestion par une entreprise, autre que le gouvernement, n’est pas possible ou non viable. Les 459 hectares du centre de ski et du terrain de golf seront intégrés dans les limites du Parc national du Mont-Orford.
L’appel d’offres consiste en la cession du centre de ski et du terrain de golf pour la somme symbolique de 1$ et en un investissement gouvernemental de 2 MCAD pour moderniser le système d’enneigement des pistes. En contrepartie, l’acquéreur s’engage à exploiter les installations durant au moins cinq ans et à payer une caution de 4 MCAD (exigée par le gouvernement pour s’assurer de la solvabilité des acheteurs).
En octobre 2010, faute d’avoir amassé les quatre millions de dollars exigés en garantie avant la date limite du 30 septembre 2010, le gouvernement du Québec rejette la seule offre déposée à l’intérieur du processus d’appel d’offres, soit celle du groupe Fortune Resort, déjà propriétaire de trois centres de ski au Québec et en Alberta. La balle retourne dans le camp de la MRC de Memphrémagog.
En janvier 2011, le comité administratif mandaté par la MRC de Memphrémagog a déposé au conseil un projet de résolution visant à fonder une société d’économie mixte (SÉM), qui assumera la responsabilité de l’exploitation du centre de ski et du terrain de golf du Parc national du Mont-Orford.
Sources:
– Gagnon, Christiane et Nathalie Lahaye. «Tensions entre conservation et développement touristique – Le cas du Parc national du Mont-Orford (Québec, Canada)», dans L’écotourisme visité par les acteurs territoriaux. Entre conservation, participation et marché, sous la direction de Christiane Gagnon, Presses de l’Université du Québec, collection «Tourisme», Québec, 2010, p. 11-30.
– Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs. Communiqué de presse, 23 mars 2010.
– MRC de Memphrémagog. Communiqué, 19 janvier 2011.
– Projet de loi no 90 (2010, chapitre 9). Loi concernant le parc national du Mont-Orford, Éditeur officiel du Québec, 2010.
– Radio-Canada. «Québec dit non au seul acheteur potentiel», 2 octobre 2010.
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Le parc national du Mont-Orford n’est pas le plus petit parc du réseau des parcs nationaux du Québec. Il est le 10e plus petit, derrière Miguasha, Rocher-Percé-et-île-Bonaventure, Mont-Saint-Bruno, Îles-de-Boucherville, Yamaska, Oka, Plaisance, Bic et Mégantic.
Bonjour M. Thibault,
Nous vous remercions pour ces précisions. Nous avons apporté la modification au texte.
L’équipe du RVT
Ils n’ont pas dit qu’il était le plus petit mais bien UN DES PLUS PETIT !