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Analyse - 13 janvier 2012

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janvier 2012

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Un modèle touristique différent dans les communautés autochtones

++ Commentaire de Sylvie Blangy, chercheure en tourisme autochtone ++

 

Une communauté Saami au Nord de la Suède a su bâtir un réseau touristique pour mettre en valeur sa culture. Que le tourisme autochtone se base sur un modèle d’affaires ou, plutôt, sur une philosophie de vie, les entrepreneurs locaux partagent une même vision : préserver et valoriser leur culture, la faire connaître à leurs hôtes, créer des emplois pour les jeunes et diversifier les sources de revenus. La création d’un projet touristique comporte toutefois plusieurs défis tels que la mobilisation de la collectivité et le recrutement d’une main-d’œuvre intéressée et qualifiée. En ce sens, regardons les initiatives autochtones étrangères et les programmes qui méritent une attention particulière.

Qu’est-ce que le tourisme autochtone?

Butler et Hinch définissent le tourisme autochtone comme suit:

«Une activité dans laquelle les peuples autochtones sont directement impliqués, qu’ils contrôlent en partie ou en totalité et dont l’attraction principale est leur culture. Le degré de contrôle et le contenu “autochtone” de la prestation varient d’une entreprise à l’autre et génèrent une grande diversité d’expériences.»

De l’aventure à l’immersion culturelle, le tourisme autochtone prend plusieurs formes et est souvent offert en forfait d’une durée variable (lire aussi: Le tourisme autochtone, plus qu’un simple produit). Les défis auxquels font face les exploitants divergent selon l’intérêt, le leadership et l’emplacement géographique de la communauté. La participation active des parties prenantes, l’innovation et la créativité s’avèrent primordiales pour la réalisation d’un projet collectif.

Quelques modèles à succès

Nutti Sami Siida

En 1997, pour répondre à un besoin financier, Nils-Torbjörn Nutti et Carina Pingi ont décidé de lier leur mode de vie traditionnel, comme éleveurs de rennes, au tourisme. Située à Jukkasjärvi, au nord de la Suède, leur offre est basée sur la culture Saami et sur la nature: un écolodge, des journées d’immersion (gastronomie, lancée du lasso, éducation du visiteur) et des randonnées en traîneau tiré par des rennes. Dès le départ, le partenariat que ces entrepreneurs ont établi avec l’hôtel de glace à proximité de leur entreprise s’avèrera très fructueux et durable. Certifié par le label de qualité Nature’s Best Sweden, Nutti Sami Siida sert d’exemple autant pour son implication auprès de l’industrie touristique que pour la commercialisation réussie de son produit dans les marchés extérieurs.

 

Tourisme_autochtone_image1

Source: Nutti Sámi Siida

Min Eallin

Aussi éleveurs de rennes, Britt-Marie Labba et Per-Nils Päiviö d’Övre Soppero, en Suède, ont converti une hutte traditionnelle Saami et une ferme en lieu d’hébergement pour des visiteurs. Ce lieu a été bonifié d’un musée, d’un sauna et d’un spa, et plusieurs activités de plein air y sont organisées. Leur savoir est également transmis aux élèves lors de sorties scolaires éducatives.

 

Tourisme_autochtone_image2

Source: Mineallin

VisitSápmi

Min Eallin et Nutti Sami Siida sont membres de VisitSápmi, l’association touristique suédoise Saami. La création de cette dernière découle d’un séjour d’étude au Québec, organisé en 2009. Cette visite visait l’échange d’idées entre quelques nations québécoises et les Saami. Inspirés en grande partie par le modèle de l’association touristique Eeyou Istchee, les fondateurs de VisitSápmi s’occupent maintenant de la formation, de la promotion, du marketing et de la certification des entreprises. La plupart des entrepreneurs Saami conjugent l’élevage de rennes au tourisme. L’association les représente dans divers événements avec un rayonnement international tels que ITB Berlin et WTM Londres.

Écotourisme et culture à Arviat : un modèle en développement

En 2008, Nunavut Tunngavik inc., l’organisation formée sous l’accord des revendications territoriales du Nunavut, et l’Association Inuit de Kivalliq ont entrepris une démarche avec la collectivité d’Arviat. Ce projet quinquennal vise à développer un produit touristique durable et à promouvoir la destination. Arviat a été sélectionné pour plusieurs raisons:

  • son intérêt pour le tourisme;
  • sa culture traditionnelle forte;
  • ses possibilités d’excursion en nature et d’observation de la faune;
  • son emplacement géographique au nord de Churchill, surnommé la «capitale mondiale de l’ours polaire».

Tourisme_autochtone_image3

Source: Arviat Community Ecotourism

Le projet a débuté par deux années de consultations, plusieurs ateliers et visites des lieux. En faisant appel à l’ensemble des parties prenantes, les conseillers ont ainsi convenu de ce qui devait être partagé avec le visiteur. Ils ont offert une formation à plus de 50 personnes dans divers champs de compétence: service à la clientèle, sécurité, planification d’événements, photographie, etc. En janvier 2011, les résidents ont évalué leur programme culturel en se mettant dans la peau de touristes. L’appropriation de l’offre touristique, sa gestion et sa commercialisation par les entreprises et les résidents sont souhaitées pour 2013. L’offre s’harmonise autour:

  • de la valorisation des savoir-faire, du partage des traditions;
  • de camps de chasse et de pêche autour du village;
  • de démonstrations des méthodes de survie des Inuit, de rencontres d’artistes et de conteurs, de chants de gorge, de partage du thé avec les personnes âgées, etc.

Un facteur d’attractivité non négligeable repose sur les 20 000 visiteurs qui se déplacent à Churchill chaque année. Arviat apparaît comme une valeur ajoutée au circuit traditionnel.

Quelques actions marketing ont été déployées, telles que l’accueil de cinq opérateurs de tours canadiens et britanniques au printemps (deux d’entre eux ont déjà manifesté l’intérêt de les ajouter à leur brochure 2012), la création d’un site Internet et une présence active dans les médias sociaux. Un projet de camp mobile pour l’observation de la migration de caribous et la construction d’un écolodge sont dans l’air…

 

Tourisme_autochtone_image4

Source: Arviat Community Ecotourism

Un enjeu majeur: une main-d’œuvre qualifiée

Le profil démographique dans le Nord du Québec diffère de celui au sud; dans les régions au nord, les jeunes de moins de 30 ans représentent de 32% à 62% de la population, et dans les régions au sud, environ de 30% à 40%. Le développement de l’entrepreneuriat constitue une nécessité. Voici deux programmes qui encouragent le leadership.

Indigee pour les jeunes entrepreneurs autochtones scandinaves et russes

Ces deux dernières années, plus d’une centaine de jeunes Saami, Nenets, Komis et Vepses, âgés de 18 à 28 ans, ont participé à Indigee en poursuivant un des deux objectifs suivants:

  • développer leur projet d’affaires pour mettre sur pied une entreprise;
  • augmenter la valeur et la productivité de leur entreprise.

Des conseillers les ont accompagnés durant un an et leur ont offert une formation personnalisée, orientée vers des résultats concrets, en plus de trois conférences par année. Indigee mise sur le réseautage pour développer une culture d’affaires dans la région.

Institut de formation en patrimoine

Pour former la relève en patrimoine et dans le secteur muséal, le projet Gaining toward the Future se caractérise par la remise d’une certification reconnue comme un programme non crédité du Nunavut Arctic College. Ce projet vise le rehaussement des connaissances et prévoit des formations au Nunavut et dans les régions du sud du Canada.

Au Québec, onze nations se répartissent un territoire naturel d’une grande richesse. Tourisme Autochtone Québec propose sur son site Internet une multitude d’immersions culturelles sous les thématiques «Apprendre», «Découvrir» et «Voir». Ce dernier met l’accent sur l’histoire des onze nations, appuyé par un visuel qui met de l’avant la convivialité des communautés hôtes. La société soutient aussi l’entrepreneuriat et le développement de meilleures pratiques d’affaires autochtones.

 

Commentaire de Sylvie Blangy, chercheure en tourisme autochtone

J’ai publié un livre en 2006, Le Guide des Destinations Indigènes, qui réunit 200 initiatives de tourisme autochtone à travers le monde, sur tous les continents, et qui a été mis en ligne sur un site interactif et géoréférencé. Les auteurs de ces témoignages peuvent dialoguer entre eux sur le forum de discussion. Ce site donne pour la première fois la parole aux entreprises autochtones. Depuis la parution du livre, les initiatives n’ont pas cessé de se multiplier sur les 5 continents. Cette multitude d’offres ne peut plus être ignorée.

Les hôtes accueillent les touristes dans d’excellentes conditions et sont fiers de partager avec eux leur quotidien et leur savoir-faire. Ces communautés veulent être les actrices de leur propre changement: préserver leurs ressources, se réapproprier leur culture, financer leurs infrastructures de base, donner aux jeunes des emplois et valoriser leurs savoir-faire traditionnels. Leurs territoires abritent 80% de la biodiversité de la planète. On y trouve la plus grande partie du patrimoine linguistique de l’humanité. Le tourisme autochtone surpasse en diversité de langues, de cultures, de modes de vie et d’écosystèmes le tourisme traditionnel de masse. Il n’y a pas de modèles d’affaires dans le tourisme autochtone. C’est donc, avant tout, un accueil conçu, réalisé et géré par des populations autochtones et villageoises ayant la volonté de maîtriser leur développement et de bénéficier, les premiers, des recettes de cette nouvelle activité économique. Le tourisme y est toujours le résultat d’une longue concertation. Ses conséquences et ses répercussions ont été étudiées et sont constamment évaluées. La communauté montre à la fois une réelle aptitude à l’accueil et un désir de partage et d’échange. Les ressources naturelles sont gérées avec soin. Les retombées en matière d’emplois ne sont pas réservées à une poignée de privilégiés et les bénéfices font l’objet d’une redistribution équitable.

L’intérêt croît dans nos sociétés pour ces peuples et pour ce qu’ils peuvent nous apporter. Le tourisme se redéfinit alors comme un lien permettant à des cultures de se reconnecter entre elles.

Mais qui est au juste ce voyageur amateur de «tourisme autochtone»? L’étude de l’Union Nationale des Associations de Tourisme (UNAT) révèle que près des deux tiers des personnes interrogées se déclarent intéressées par le tourisme solidaire. Elles l’associent spontanément au commerce équitable. Ces nouveaux voyageurs veulent: «avoir des contacts avec la population locale, connaître et respecter la nature et le patrimoine local, savoir exactement à qui va l’argent payé pour le voyage et se sentir utile au pays visité».

Être un touriste responsable, c’est aussi savoir anticiper l’effet, y compris négatif, qu’on peut avoir sur la survie des villages-hôtes, en exploitant les ressources rares comme l’eau, les combustibles et les produits agricoles de base en régions désertiques ou de haute montagne. Des «codes de conduite», des «chartes éthiques» existent aujourd’hui et servent à guider les voyageurs. Ils ont été conçus par les communautés hôtes en concertation avec les professionnels de l’écotourisme (1). La plupart des hôtes qui accueillent des touristes ont dressé un inventaire des comportements à adopter et de l’étiquette à respecter lors de leurs séjours.

Le tourisme autochtone ne se réduit pas, fort heureusement, à une succession de devoirs. Il apporte d’abord des plaisirs inédits comme la découverte d’un autre rythme de vie, celui de l’hôte. Les Saami du nord de la Suède accueillent le nouvel arrivant avec ces mots: «Notre programme? Eh bien… Jour 1: surprise! Jour 2: surprise! Jour 3: surprise!» Indulgence, humour, chaleur et dévouement sont de mises. Les communautés prennent aussi, de jour en jour, plus clairement conscience qu’un accueil bien pensé, planifié et autogéré peut devenir un outil de reconquête, de réappropriation culturelle et un levier de revendications territoriales.

(1) Chartes éthiques et codes de conduite:

Charte éthique du voyageur d’Atalante

Code de conduite de TIES

 

Sites Internet:

Arviat Community Ecotourism

Indigee

Mineallin

Nutti Sámi Siida

Spirit Bear Lodge

VisitSapmi

 

Références:

– Bechtloff, Katja. Nutti Sámi Siida Leads the Way for Responsible Development of Indigenous Ecotourism in Swedish Sápmi, yourtravelchoice.org, 21 juin 2011.

– Blangy, Sylvie. «Co-construire le tourisme autochtone par la recherche-action participative et les Technologies de l’Information et de la Communication», thèse pour l’obtention du grade de docteur de l’Université Paul Valéry Montpellier III, septembre 2010.

– Blangy, Sylvie. «Le Guide Des Destinations Indigènes», Indigene Editions, Collection Indigène Esprit, 2006, 384 pages.

– Blangy S. et A. Laurent. «Le tourisme autochtone. Un lieu d’expression privilégié pour des formes de solidarité innovantes», TEOROS- Revue de recherche en tourisme, Université du Québec à Montréal, numéro spécial sur le tourisme solidaire, septembre 2007.

– Blangy S. et R. Lemelin. «Special Issue on « Aboriginal Ecotourism »», The Journal of Ecotourism, Guest editors (dir.), juin 2009, double volume.

– Blangy, S., R. McGinley et R.H. Lemelin. «La recherche action participative et collaborative autochtone peut-elle améliorer l’engagement communautaire dans les projets touristiques?», Teoros, vol. 29, no 1 : printemps 2010.

– Butler, Robert et Tom Hinch. Tourism and Indigenous Peoples: Issues and Implications, Burlington, Butterworth-Heinemann, 2007.

– Canada’s Arctic Journal Above and Beyond. « The Arviat Community Ecotourism Initiative », mai/juin 2011.

– Donohoe, H. et Blangy, S. «The Role of Indigenous Tourism in Supporting and Meeting the United Nations Millennium Development Goals», dans K. Bricker, R. Black et S. Cottrell (dir.), «Ecotourism and Sustainable Tourism: Transitioning into the New Millenium», Jones and Bartlett, 2011.

– Inuit Heritage Trust. Sivumut Piruqpalliajuq (Gaining Towards the Future): Heritage Training Institute, consulté le 12 octobre 2011.

– Robins, Mike. «Preserving Inuit Cultural Traditions Through Tourism in Arviat, Nunavut, Canada», Papier soumis pour la 3e Conférence internationale sur la philanthropie des voyageurs, Costa Rica, 20-23 juillet 2011.

– Statistique Canada, Division de la démographie et Institut de la statistique du Québec, Direction des statistiques sociodémographiques. MRC et territoires équivalents, population selon l’âge et le sexe, consulté le 13 octobre 2011.

  • fabienne le velly

    C’est vraiment toujours aussi intéressant de lire Sylvie Blangy et cela nous donne tellement envie de venir recontrer les gens de cette terre inuit. A bientôt Sylvie,
    Fred et Fabienne de Montpellier (FR)

  • Sylvie Blangy

    Bonjour Fabienne

    Je suis de retour sur Montpellier. On peut en discuter de vive voix. Ton carnet de séjours pourrait s’étoffer sur le nord
    Amicalement

    Sylvie

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