Le tourisme mondial: tirer parti des situations difficiles
Des tempêtes à l’horizon
L’économie mondiale est en chute libre et personne ne sait lorsqu’elle touchera le fond. Selon le Fonds monétaire international (FMI), les économies avancées ont connu une baisse sans précédent de 7,5% de leur produit intérieur brut (PIB) réel durant le quatrième trimestre de 2008. Le FMI prévoit une baisse similaire pour le premier trimestre de l’année 2009 et une chute de plus de 4 % du PIB de la zone euro cette année. En 2009, l’économie mondiale se repliera pour la première fois depuis la grande crise.
Les économies les plus importantes du monde sont mises à rude épreuve. Le PIB des États-Unis s’est replié à un taux annuel dépassant les 6% au cours des deux derniers trimestres. Le FMI croit que la Russie et le Japon verront leur PIB diminuer d’un taux semblable pendant 2009. L’économie d’exportation du Japon connaîtra son premier déficit commercial et le pays essuiera probablement une dangereuse spirale déflationniste.
Le tourisme: un secteur fragile
L’industrie du tourisme et du voyage est très sensible aux changements macroéconomiques. L’Organisation mondiale du tourisme des Nations Unies (OMT) a annoncé une diminution des arrivées de touristes internationaux par rapport à l’année précédente pour le deuxième semestre de 2008. L’Asie et l’Europe ont connu une chute particulièrement vertigineuse de 3%.
L’année 2009 a débuté dans la frayeur lorsque les agents de voyages et les voyagistes internationaux ont noté une baisse considérable des réservations pour la prochaine saison estivale. L’industrie hôtelière américaine subit d’importantes pertes du fait que le taux d’occupation et les prix des chambres diminuent sans cesse. À New York, au mois de mars, le revenu par chambre disponible (RCD) a chuté de 35,5% par rapport à l’année précédente. Le RCD à Orlando et à Miami a diminué respectivement de 28% et de 29%.
Deux provinces canadiennes, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard, ont terminé l’année 2008 avec un taux d’occupation moyen de 45%. Ces provinces s’attendent à une diminution accrue de la demande cette année. Le sort de certains marchés urbains canadiens est encore plus lamentable. Le taux d’occupation annuel des 10 000 chambres d’hôtel de Niagara Falls n’était que de 38 % en 2008 et aucune amélioration n’est prévue pour cette année.
Les marchés dynamiques de l’Asie n’ont pas été épargnés. En mars, les hôtels indiens et chinois ont enregistré une baisse de RCD de 35% et de 40% respectivement par rapport à l’année précédente. Le marché thaïlandais, touché par les troubles politiques, a connu une diminution de RCD de 37%. Bien que la mondialisation soit à l’origine de la forte hausse du tourisme international au vingtième siècle, elle a également éliminé des barrières qui auraient pu contenir la contagion économique à laquelle est exposée l’industrie du voyage et du tourisme réceptif.
À quelque chose malheur est bon
Ce sombre horizon économique rend inertes de nombreux dirigeants d’entreprises. Selon la croyance populaire, les marchés en croissance sont une mine d’occasions intéressantes, tandis que les récessions obligent les entreprises à se replier sur elles-mêmes pour ne pas succomber. Par contraste, le professeur Don Sull, mon collègue à la London Business School, est devenu un gourou de l’optimisme en disant que les occasions d’affaires les plus lucratives se présentent durant les ralentissements économiques. Les recherches du professeur Sull montrent qu’il est plus facile d’effectuer des changements organisationnels et d’instaurer de meilleures pratiques en temps de récession qu’en plein essor des marchés. Il explique comment les chefs d’entreprises peuvent employer à bien une récession afin d’identifier les occasions d’investissement lucratives, de retrouver un sentiment d’urgence, de justifier des décisions impopulaires et de vaincre la complaisance (www.donsull.com).
Appliquer l’hypothèse de Sull à l’industrie touristique durant les plus importantes crises financières du siècle dernier peut être instructif. Les entrepreneurs, les investisseurs et les chefs d’entreprises ont souvent su tirer parti de situations économiques difficiles. Les trois exemples suivants illustrent comment des professionnels du voyage et du tourisme réceptif ont pu profiter d’occasions intéressantes au cours de récessions antérieures.
Cas no 1: Waldorf-Astoria
L’hôtelier Lucius Boomer ouvre le Waldorf-Astoria de New York le 1er octobre 1931, au beau milieu de la grande crise. Situé sur Park Avenue, cet imposant hôtel de 42 étages et de presque 2 000 chambres est le plus grand et le plus luxueux des hôtels jamais construits. Étant donné la confusion des marchés des actions et le fait qu’un quart de la population américaine est sans emploi, peu de personnes croient que l’hôtel fera long feu. Les marchés des valeurs mobilières sont à la baisse depuis deux ans et les problèmes économiques ne semblent pas près de tirer à leur fin.
Malgré les temps durs, l’ouverture du Waldorf-Astoria symbolise le changement radical que la grande crise opère sur un modèle d’affaires fondamental. Boomer mise sur les faibles coûts pour obtenir un avantage concurrentiel. Il tire profit du chômage des travailleurs de la construction pour négocier des contrats avantageux. Le coût des matériaux de finition ayant dégringolé, il peut utiliser le marbre, le granit, le bois et le laiton les plus fins. Des artisans sans emploi amenés d’Europe travaillent sur la partie intérieure de l’hôtel à une fraction de leur salaire avant la crise. En fin de compte, le palace doit sa construction à un budget de pauvre.
La veille de l’ouverture officielle du Waldorf, le président Herbert Hoover prononce un discours d’inauguration à la radio. «Nos hôtels sont devenus des institutions communautaires, déclare-t-il. Ils sont les points centraux de l’hospitalité… L’érection de cette magnifique structure a contribué au maintien d’emplois et est un exemple de courage et de confiance en soi pour la nation entière.»
Le Waldorf-Astoria est également un investissement extrêmement lucratif. Au milieu des années 1930, l’hôtel accueille des présidents, des membres de la famille royale et des capitaines d’industrie. Aujourd’hui, bien que la valeur des immeubles, du contrat de gérance et du fonds commercial du Waldorf soit discutable, cet hôtel est probablement le plus précieux du monde entier. Et ce sont les conditions économiques de la grande crise qui ont permis au Waldorf d’être érigé dans toute sa gloire et sa splendeur.
Cas nº 2: Carnival Cruise Lines
La plupart des professionnels du tourisme hésiteraient à considérer les problèmes économiques de 1974 comme la conjoncture idéale pour fonder une entreprise capitalistique dans un secteur de l’industrie qui dépend fortement des dépenses discrétionnaires des personnes âgées à la retraite. Après l’effondrement du système Bretton Woods, le PIB américain chute et l’inflation dépasse les 12%.
Dans ce mauvais contexte économique, Ted Arison achète un navire de croisière en ruine pour un dollar américain et prend en charge une dette de 5 millions de dollars. En novembre 1974, l’indice Dow Jones ayant reculé de 45% par rapport à la moyenne la plus élevée de l’année précédente, Arison inscrit la Carnival Company comme propriétaire et gestionnaire des Carnival Cruise Lines.
À l’époque, nul ne comprend le désir d’Arison, brillant homme d’affaires, d’acheter un croisiériste près de la faillite au lendemain de l’embargo pétrolier des pays arabes. Le prix du pétrole a quadruplé et un navire de croisière peut consommer 200 litres de carburant par minute. À première vue, cette acquisition n’a aucun sens du point de vue économique. Arison a d’autres idées en tête, cependant. Il va révolutionner l’industrie des croisières.
Arison cible un segment de marché regroupant les gens de 25 à 40 ans qui considèrent les croisières comme un passe-temps pour les vieillards. Le navire de Carnival est redécoré dans un style fluorescent criard. Un casino et une discothèque y sont incorporés. La distinction et l’élégance font place à la jeunesse et à la frivolité dans la publicité visuelle. Micky Arison, le fils de Ted, rencontre des douzaines d’agents de voyages avec lesquels il utilise un ton dynamique et décontracté pour leur dire que les croisières seront très populaires auprès des jeunes adultes.
En moins d’un an, Carnival fonctionne à pleine capacité. Plus tard, elle devient le croisiériste le plus important au monde. Arison a su profiter des occasions que lui offrait la crise; le dollar qu’il a investi a fait de lui un multimilliardaire.
Cas nº 3: Emirates Airline
Après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, l’industrie mondiale du voyage s’arrête brusquement. Les compagnies aériennes et les hôtels sont assaillis par les annulations de réservations. Les transporteurs aériens, croyant à un long ralentissement, commencent à annuler leurs commandes d’avions. Le prix des actions de Boeing et d’EADS (société mère d’Airbus) chute.
Ahmed Bin Saeed Al-Maktoum, président du groupe Emirates, voit une occasion là où ses concurrents voient une menace. Personne ne sait combien de temps durera la crise, mais le cheik Ahmed croit qu’Emirates est bien positionnée pour une croissance à long terme. En octobre 2001, au salon aéronautique de Dubaï où peu se rendent, le président d’Emirates passe une grosse commande d’appareils Boeing et Airbus. Dans le but de protéger leur part de marché tandis que les annulations se multiplient, les deux fabricants lui accordent des rabais considérables.
Emirates répartit la commande entre les deux entreprises et achète des appareils pour 15 milliards de dollars américains. Bien que cette acquisition soit plus importante que prévu, le cheik Ahmed expliquera plus tard que les prix dérisoires attribuables à la récession étaient trop alléchants pour qu’il n’en profite pas.
Même si les avions sont livrés sur une période de plusieurs années, la confiance des clients et des investisseurs est manifeste. Au cours de la pire année de l’histoire de l’industrie de l’aviation, le groupe Emirates clôture l’exercice 2001-2002 avec un résultat net représentant 8 % de revenu. La compagnie distribue des dividendes substantiels à ses actionnaires et verse une prime équivalant à 3 semaines de salaire à tous ses employés. Pendant que ses concurrents mettent à pied une bonne partie de leur personnel, Emirates ne licencie aucun employé et paie les augmentations de salaire en entier. Primée de nombreuses fois, Emirates est également élue « compagnie aérienne de l’année 2002 » par 4 000 000 d’internautes lors du deuxième sondage annuel de Skytrax Research et meilleure compagnie de fret aérien pour le Moyen-Orient par Air Cargo News. En tenant compte des occasions stratégiques à long terme, Emirates a su tirer parti de ce ralentissement.
Quelles sont les occasions intéressantes?
Certaines entreprises de tourisme réceptif sont moins touchées par la crise économique que d’autres. Si on la compare à bon nombre de compagnies de restauration, la McDonald’s Corporation a tenu bon au cours de la dernière année. Elle est au quatrième rang des entreprises aux meilleurs rendements de l’indice Dow Jones. Le prix de ses actions n’a baissé que de 9% par rapport à la moyenne de 38% de cet indice. L’entreprise a eu assez confiance en son rendement à court terme pour augmenter de 32% ses dividendes du quatrième trimestre de 2008.
McDonald’s tire profit des revers de Starbucks pour lancer McCafé, un concept de restauration rapide qui offre des cappuccinos, des cafés au lait et des mokas. Étant donné que Starbucks a dû fermer presque 1 000 de ses établissements, McDonald’s croit qu’elle peut attirer des clients voulant un café spécialisé plutôt qu’une simple boisson pour accompagner leur repas.
Il y a également des occasions lucratives d’investissement à long terme à saisir dans le secteur de l’hébergement. Tandis que le nombre d’acquisitions d’hôtels et de portefeuilles d’hôtels a chuté de façon considérable au cours de la dernière année, les investisseurs ayant accès à du capital ont pu acheter des biens immobiliers à grand rabais. Au Royaume-Uni, particulièrement, la vente d’hôtels de grande qualité s’est faite à des prix qui auraient été considérés comme scandaleux il y a deux ans. Des entreprises en perdition comme la Royal Bank of Scotland et le géant du tourisme réceptif Mitchells & Butlers ont dû vendre des hôtels pour obtenir des fonds dont ils avaient terriblement besoin.
Dans un marché paralysé par la crise du crédit, l’entreprise britannique Travelodge a fait de grandes dépenses en achetant six propriétés (650 chambres) de Menzies pour 85 millions de livres sterling, sept hôtels Swallow (669 chambres) pour 70 millions de livres sterling et cinq hôtels indépendants (500 chambres) pour 35 millions de livres sterling. Travelodge profite de la conjoncture pour prendre de l’expansion dans le but de dominer le secteur britannique des hôtels économiques lorsque le pays sortira de la crise.
Un œil neuf
Quand l’économie se porte mal, les dirigeants d’entreprises arrivent difficilement à voir le bout du tunnel. Ils parviennent encore plus difficilement à trouver les occasions qui s’offrent à eux. Pour éviter l’échec, il leur faut miser sur la réussite. Comme le dit le proverbe chinois: «Si nous ne changeons pas de direction, nous risquons de nous retrouver là où nous nous dirigeons.»
Lorsque les temps vont mal, les dirigeants de l’industrie du tourisme et du voyage doivent savoir profiter des occasions d’affaires intéressantes. Il est possible de tirer parti de la plupart des tourmentes. Les trois cas présentés plus haut l’illustrent bien: le défi n’est pas de chercher les bonnes occasions, mais de les considérer d’un œil neuf.
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