Les aéroports à l’ère du marketing +++ Commentaire du professeur Nigel Halpern+++
Dans le territoire nordique de l’Europe, on recense un nombre important d’aéroports secondaires, plusieurs ayant été construits à des fins militaires ou de développement régional. Jusqu’à récemment, leur mission première se limitait à offrir un service public aux petites communautés éloignées des grands centres en les reliant aux principaux réseaux de transport. Dans un environnement plus ouvert, moins réglementé et avec de nouvelles réalités économiques, la donne est appelée à changer. Nigel Halpern, chercheur au Centre for Civil Aviation de la London Metropolitan University, s’est intéressé à ces changements et remet en question les pratiques marketing traditionnelles des aéroports. C’est ce que l’on retient de sa présentation livrée à l’occasion du 14e symposium sur le tourisme nordique tenu en Islande. Plusieurs parallèles d’intérêt peuvent certainement être tracés en fonction de la situation du réseau des aéroports au Québec.
Un rôle régional et limité
Règle générale, les aéroports de moindre taille se voient confinés à jouer un rôle limité, dominés par la plaque tournante utilisée par un transporteur majeur. Les liaisons offertes sont souvent desservies par de petits appareils et les situations de quasi-monopoles entraînent des tarifs particulièrement élevés. Le Québec n’est certes pas seul à vivre ce type de situation.
Les aéroports secondaires sont habituellement des entités publiques qui relèvent des autorités municipales ou gouvernementales. La plupart d’entre eux, sous-utilisés, enregistrent des pertes et ont besoin de subventions pour demeurer en exploitation. La présence d’un contexte monopolistique, comme dans le cas d’Air Canada, a créé une situation particulière où les aéroports se sont retrouvés avec un minimum de concurrence et, donc, une absence d’incitatifs à réduire leurs coûts de fonctionnement et à améliorer leur efficacité. Résultat: les stratégies de commercialisation de ces aéroports sont presque inexistantes et se limitent à des actions passives telles que la publication de l’horaire des vols.
Un environnement changeant
Selon Nigel Halpern, le marketing des aéroports évolue rapidement, obéissant à un environnement différent, influencé notamment par des changements structurels dans l’industrie aérienne et dans les comportements de voyages. En Europe du Nord, plusieurs aéroports ont embrassé ces nouvelles réalités d’affaires en adoptant une approche commerciale inédite. La concurrence prend dorénavant une dimension globale, que l’on parle de forfaits tout compris ou de voyages organisés sur une base indépendante. Notons aussi que, dans plusieurs régions, la présence des transporteurs low cost dynamise énormément le marché.
Dans un contexte d’affaires de plus en plus ouvert, les gestionnaires d’aéroports doivent toutefois composer avec des décisions souvent imprévisibles de compagnies aériennes qui n’ont d’autres choix que de s’ajuster rapidement aux forces du marché. Les aéroports qui désirent se positionner avantageusement comme destination doivent adapter leurs pratiques de gestion en conséquence, notamment leurs stratégies marketing doivent être beaucoup plus proactives.
De plus en plus d’aéroports, comme celui d’Oslo, se lancent dans des offensives publicitaires en visant des clientèles cibles (voir photo). En raison des coûts élevés de telles initiatives, elles sont habituellement réservées aux aéroports plus importants ou nécessitent à tout le moins des campagnes conjointes avec d’autres partenaires. Certains groupes s’assurent également d’une présence dans des foires commerciales dédiées aux intervenants touristiques afin de stimuler le développement de nouveaux marchés.
Une clientèle qui ne se limite plus qu’aux transporteurs
En outre, les aéroports sont de plus en plus appelés à offrir directement des services aux touristes en proposant notamment des outils pour la planification des voyages tels que des horaires en ligne et des liens vers des agences en ligne. Aussi surprenant que cela puisse paraître, seulement 10% des aéroports dans le monde affichent l’horaire de leurs vols sur Internet. Le site Internet de Highlands and Islands Airports, avec des critères avancés de recherche (voir photo), constitue un exemple intéressant à ce chapitre. Sur le site Aéroports de Montréal, par ailleurs, on ne trouve que l’information concernant les vols de la journée.
Vers un développement d’affaires
Il existe un certain nombre de pratiques qui peuvent être utilisées afin d’exploiter des tendances du marché qui combleront les besoins de la clientèle, en l’occurrence les transporteurs. Pour être en mesure de tirer leur épingle du jeu dans un contexte concurrentiel et de s’adjoindre de nouvelles destinations, les aéroports doivent prendre conscience des incitatifs susceptibles d’améliorer leur position.
À cet égard, le niveau des tarifs exigés et le développement de campagnes promotionnelles par l’entremise de partenariats stratégiques s’inscrivent comme des facteurs déterminants dans la poursuite d’un objectif de développement d’affaires. À titre d’exemple, les transporteurs qui choisissent l’aéroport de Cork en Irlande pour offrir une nouvelle liaison régulière se voient octroyés des rabais substantiels liés aux frais aéroportuaires. Le modèle d’affaires proposé est basé sur cinq ans et comprend des réductions de:
- 100% la première année,
- 80% la deuxième,
- 60% la troisième,
- 40% la quatrième et
- 20% la cinquième année.
La stratégie semble avoir porté fruits puisque l’achalandage de l’aéroport de Cork a presque triplé en dix ans (1994-2003), même si ce dernier doit partager sensiblement le même marché que l’aéroport de Shannon, domicile du transporteur low cost, Ryanair. Cette concurrence demeure toutefois limitée par le fait qu’un même organisme, Aer Rianta, est le propriétaire des deux aéroports. Précisons par ailleurs que, depuis 2005, l’aéroport de Cork utilise un programme incitatif différent basé cette fois sur des réductions de tarifs par passager.
Évidemment, il est possible que le transporteur cesse les activités de la nouvelle route une fois le bail expiré. Mais les incitatifs financiers permettent aux compagnies aériennes de prendre des risques pour des liaisons aériennes dont il est difficile de prévoir avec justesse le succès. Sur une période de cinq ans, il est habituellement possible de générer un bassin de clientèle suffisant pour assurer la rentabilité de la route. C’est surtout durant les premières années de son introduction que le transporteur a besoin d’un support de l’aéroport.
Mentionnons aussi la tenue d’un événement annuel conçu pour encourager les aéroports à s’ouvrir vers de nouveaux horizons et faciliter ce processus. Il s’agit de Routes (World Route Development Forum), genre de speed dating (approche favorisant un grand nombre de rencontres de courte durée entre des intervenants qui ne se connaissent que très peu) leur permettant de maximiser les occasions de tisser de nouveaux liens d’affaires avec divers acteurs de l’industrie touristique.
Des avenues pour une spécialisation
Un aéroport qui désire courtiser les marchés d’agrément peut choisir de se spécialiser et de miser notamment sur les aspects suivants:
- les coûts (ex.: en adoptant un terminal des plus simples et en offrant un minimum de services);
- la flexibilité (ex.: en disposant d’un personnel polyvalent et en confiant à un intermédiaire privé le travail de manutention);
- la rapidité (ex.: en offrant de courts cycles de rotation et un positionnement avantageux des avions);
- l’accès (ex.: en proposant des heures de services allongées et en insistant sur sa proximité de la destination) ;
- les infrastructures (ex.: en disposant d’une piste d’atterrissage plus longue et d’une capacité supérieure du terminal).
Les aéroports qui souhaitent accroître leur marché demeurent néanmoins tributaires d’une demande potentielle. Les efforts marketing ne peuvent, à eux seuls, constituer un gage de succès. Mais les aéroports gagneront certes à mettre en place une intelligence de marché et à collaborer étroitement avec les autorités locales de tourisme et les organismes locaux de développement.
Source:
– Halpern, Nigel. «Airport Marketing as a Means of Exploiting the Potential for Tourism in Europe’s Northern Periphery», The 14th Nordic Symposium in Tourism and Hospitality Research, Conférence tenue à Akureyri, en Islande, du 22 au 25 septembre au 2005.
+++ Commentaire du professeur Nigel Halpern +++
[15 novembre 2005] M. Nigel Halpern est professeur au Centre for Civil Aviation, Department for Business & Service Sector Management de la London Metropolitan University.
Le présent texte vise à lancer la discussion sur les défis que doivent relever les aéroports des territoires nordiques de l’Europe qui désirent opter pour un marchéage (marketing mix) orienté vers le tourisme d’agrément en vue d’attirer des transporteurs de type charter, low cost ou régional) ainsi que sur les opportunités qui s’offrent à eux. Bien qu’une réflexion collective sur le sujet s’avère nécessaire avant de pouvoir mener à bien une étude juste et détaillée, des discussions préliminaires ont permis d’identifier les enjeux suivants.
Premièrement, les aéroports doivent prendre conscience des besoins en infrastructure des marchés cibles ainsi que de la nécessité de passer à un autre niveau de concurrence, en ayant recours à la stratégie de marque par exemple. Le pari étant de faire le choix entre la spécialisation ou l’offre de différents produits qui couvriront une gamme de services. Un tel choix s’applique non seulement à l’infrastructure et aux services disponibles, mais également à la «marque» (brand) de l’aéroport.
Deuxièmement, les aéroports doivent adopter des moyens de communication plus directs et plus agressifs. À ce titre, des événements comme «Routes» offrent d’énormes possibilités. Cependant, ces moyens de communication doivent être évalués par des études marketing détaillées. Dans le cas des aéroports qui ne disposent pas des ressources suffisantes pour mener ce genre de recherche, une collaboration stratégique avec des partenaires locaux s’avère cruciale et permet la mise en commun des ressources. Par ailleurs, une telle collaboration facilite une approche plus globale et intégrée en terme de développement du tourisme et est par conséquent d’une grande importance pour tous les aéroports et pas seulement pour ceux ayant des contraintes en terme de ressources.
Troisièmement, les aéroports peuvent proposer des incitatifs afin de promouvoir des routes qui, autrement, n’auraient pas été envisagées. Toutefois, la décision de la Commission européenne a changé la donne quant à l’utilisation de ces incitatifs et les aéroports devront rechercher des investisseurs privés afin de pallier les effets de cette décision.
Finalement, les aéroports devraient davantage appuyer les réseaux de distribution de leurs compagnies aériennes ou de leurs voyagistes et répondre aux besoins de planification de voyage de leur clientèle. En effet, les aéroports faisant partie de groupes d’aéroports nationaux ont tendance à n’offrir que le strict minimum dans ce domaine et devraient opter pour une approche proactive et personnalisée.
Il est possible que ce soit le caractère privé ou public de même que le mode de gestion des aéroports qui influent sur leur capacité d’intégrer ces principes de commercialisation. Il n’est d’ailleurs pas évident que l’application de ces principes ait vraiment un impact sur le rendement des aéroports et c’est pourquoi je compte bien faire de ces éléments l’objet de futures recherches.
Nigel Halpern
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